Grande agitation, l’été dernier, devant le flot de milliers d’enfants seuls traversant illégalement la frontière des États-Unis en provenance de l’Amérique centrale. En réaction et dans l’urgence, le Mexique a lancé, sous pressions américaines, le « Plan Frontera Sur », destiné à intercepter les migrants à sa frontière avec le Guatemala. Washington a déplacé le problème en l’aggravant.
Plus de 46 000 jeunes non accompagnés, provenant essentiellement du Guatemala, du Honduras et du Salvador, sont entrés clandestinement aux États-Unis l’année dernière, selon le ministère américain de la Sécurité intérieure — alors qu’ils n’avaient été que 6000 en 2011. Il s’agissait, en très grande majorité, d’adolescents âgés de 13 à 17 ans, encore que, selon une enquête du Pew Research Center, la proportion, parmi ces jeunes, des enfants âgés de 12 ans ou moins a eu tendance à croître significativement…
Il aura donc fallu que se présente cette réalité particulièrement troublante — celle d’enfants laissés à eux-mêmes — pour qu’en réaction les États-Unis décident de faire pression sur Mexico afin qu’il renforce les contrôles policiers à sa frontière méridionale.
D’où le Plan frontière sud, annoncé en juillet 2014 par le président mexicain, Enrique Peña Nieto, plan en vertu duquel ont été déployés dans l’État du Chiapas 5000 membres de la police fédérale, qui n’est pas précisément réputée pour son intégrité professionnelle. Le nouveau plan a instantanément donné des fruits : toutes catégories d’âge confondues, le nombre des illégaux interceptés à la frontière mexico-guatémaltèque a été tel (près de 100 000 d’octobre 2014 à avril 2015) qu’on s’attend maintenant à ce que les passages illégaux à la frontière du Mexique et des États-Unis tombent en 2015 à leur plus bas niveau en 40 ans.
Sauf que ce succès statistique masque une aggravation de la situation au chapitre de la sécurité des personnes le long d’une frontière poreuse, où la violence des gangs le dispute à la corruption des autorités. Si Washington apprécie que le Mexique ait fermé le robinet en amont et qu’il assume ses responsabilités, le flot des migrants qui tentent de rejoindre les États-Unis depuis les pays pauvres de l’Amérique centrale, constatent les ONG, ne s’est pas tari pour autant.
Augmentation du nombre de postes de contrôle sur les routes, multiplication des raids dans les centres d’hébergement où vont se réfugier les clandestins, surveillance accrue des trains de fret qui montent vers le nord : les organisations de défense des droits de la personne font valoir que, dans les faits et comme on pouvait s’y attendre, l’intensification des contrôles policiers s’est accompagnée d’un approfondissement du climat de violence et d’insécurité qui sévit dans les régions du sud du pays. Ce faisant, poussés à se faire plus invisibles, les migrants deviennent encore plus vulnérables face aux organisations de passeurs et aux trafiquants de drogue.
Sans compter que la précipitation avec laquelle le Mexique s’emploie à déporter les clandestins soulève d’inquiétantes questions au chapitre du respect du droit humanitaire. La majorité des migrants sont déportés et il semble que la plupart d’entre eux le soient au mépris de leur droit de demander asile et protection.
Il aura certainement fallu beaucoup d’aveuglement volontaire de la part du gouvernement américain — et d’une grande partie de l’opinion publique — pour se débarrasser du problème en le confiant à un pays qui peine à y faire tenir l’État de droit. Il n’est pas nécessaire d’être particulièrement bien renseigné pour savoir que le Honduras, le Guatemala et le Salvador sont des pays gangrenés par une très grande pauvreté et des taux d’homicide parmi les plus élevés au monde. Une détresse qui est par ailleurs exacerbée à l’heure actuelle par une interminable sécheresse dont on a peu entendu parler et qui plonge pourtant dans l’insécurité alimentaire 2,5 millions de personnes dans ces trois pays.
A-t-on vraiment idée de l’ampleur des difficultés que traversent ces populations pour que leurs enfants, par dizaines de milliers, en arrivent à tenter seuls de rejoindre clandestinement les États-Unis ?
Une lueur d’espoir, malgré tout, à travers toutes ces dynamiques désespérantes : un vent de colère collectif souffle sur le Guatemala et le Honduras, depuis le mois d’avril, contre la violence et la corruption — un ras-le-bol, encore là peu relayé ici, qui s’exprime avec une détermination qui ne s’est pas vue depuis des décennies. Si seulement ce vent pouvait déboucher sur des changements profonds…
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