Le 10 août, au lendemain d’un rassemblement tenu un an après la mort de Michael Brown qui a tourné à l’affrontement, l’état d’urgence a été déclaré à Ferguson, dans le Missouri. C’est dans ce climat que nous commémorons le cinquantième anniversaire des émeutes raciales de Watts. Dans ce quartier de Los Angeles, tout débute le 11 août 1965, lorsque Marquette Frye, un jeune homme noir, est contrôlé pour conduite en état d’ivresse. Son frère, qui était à bord de la voiture, part prévenir leur mère. Après l’arrivée de cette dernière sur la scène, la tension monte rapidement. Des voisins et badauds assistent à l’altercation. Lorsque les trois membres de la famille sont finalement arrêtés, le quartier s’embrase. Mais la brutalité policière n’est que l’étincelle. Les causes profondes sont à chercher dans la violence de la misère, de la ségrégation, du racisme et dans la médiocrité du système éducatif ou du logement…
Cette année aussi, les Etats-Unis ont connu des violences urbaines, notamment à Ferguson, puis à Baltimore, où des émeutes ont divisé la ville pendant deux semaines en avril, après la mort de Freddie Gray. Fort heureusement, le bilan n’est pas comparable. En 1965, il y avait eu 34 morts, plus d’un millier de blessés, environ 4 000 arrestations et près de 40 millions de dollars de dégâts en seulement 6 jours, tandis qu’en 2015, on compte 250 personnes arrêtées, une vingtaine de policiers blessés et quelques millions de dollars de dégâts de nouveau. Mais la similarité des causes est troublante. Cinquante ans plus tard, les violences policières sont toujours quotidiennes, la ségrégation, les discriminations et la stigmatisation des Noirs américains toujours systémiques. Et les mêmes appels au calme en direction des manifestants qui veulent faire respecter l’égalité de leurs droits, affirmer leur dignité et la fin des brutalités policières : 708 morts en 2015 à l’heure où j’écris ces lignes.
Mais grâce à la mobilisation d’une nouvelle génération très active dans les médias et sur les réseaux sociaux, les choses évoluent aussi et le militantisme noir connaît une renaissance. Innovation majeure depuis la mort de Michael Brown il y a un an, c’est l’émergence d’un discours plus radical, une redéfinition de la violence elle-même. Ils ont réussi à toucher l’opinion publique américaine, même blanche, en démontrant que la véritable violence n’est pas celle d’un magasin brûlé, mais celle de l’Etat qui suréquipe ses forces de l’ordre pour contrôler certains quartiers – ceux où des politiques publiques confinent les pauvres et les minorités –, violence qui amène les Noirs américains à se reconnaître dans les traits de Michael Brown, Freddie Gray ou Sandra Bland. C’est un accomplissement remarquable.
Si les émeutes de Watts ont marqué la radicalisation du mouvement de libération des Noirs et la fin de la non-violence, la mobilisation en 2015 sur la question de la brutalité policière et du racisme institutionnel constitue aussi un moment historique, qui s’appuie sur une multitude de leaders locaux, plutôt que de compter sur des figures charismatiques. Ce mouvement populaire national porte un discours complexe sur les identités et réaffirme la valeur de la vie des Noirs. Le « Black Power » est réincarné.
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