Ukraine, a Country Sold Off on the Diplomatic Market?

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La Russie étant un acteur clé dans les négociations internationales, les Etats-Unis ont accepté de faire des concessions sur l’Ukraine afin d’avoir un allié sur d’autres dossiers sensibles, notamment au Moyen-Orient.

On se souvient tous de l’image de Victoria Nuland (secrétaire d’Etat adjointe des Etats-Unis) sur Maidan en train de distribuer des sandwichs aux manifestants courageux, révoltés par la politique du président de l’époque, Viktor Ianoukovitch. Ce soutien américain d’ordre moral et politique à une révolution populaire en cours ne pouvait qu’être salué, car il respectait les principes démocratiques et libéraux des Etats-Unis et de l’Union européenne. Quelques semaines plus tard, lorsqu’il semblait inévitable que le régime du Président allait chuter, une conversation piratée entre l’ambassadeur américain Geoffrey Pyatt, en poste à Kiev, et Victoria Nuland était révélée au grand public par le parti prorusse : Nuland faisait le balayage, distribuait les rôles dans le futur gouvernement ukrainien de transition et prononça son fameux «Fuck the EU». On pourrait être choqués par de tels commentaires, mais ils permirent une transition ordonnée, validée par des élections présidentielles et législatives justes et démocratiques qui eurent lieu respectivement trois mois et huit mois plus tard. Rappelons que seulement 2 % des électeurs ukrainiens votèrent pour des partis d’extrême droite alors que leur pays était déjà partiellement envahi par les troupes russes et accusé par la machine médiatique russe d’être néonazi.

Cette seconde révolution ukrainienne (en l’espace de dix ans) eut lieu dans un contexte diplomatique tendu entre les Etats-Unis et la Russie. Le printemps arabe, suivi du renversement du régime de Kadhafi en Libye, crispa les relations entre les deux pays. Si la Russie de Medvedev s’était abstenue lors de la résolution 1973 à l’ONU concernant la Libye, ce fut, d’une part, pour protéger les populations civiles et, d’autre part, pour améliorer les relations avec Washington après la guerre de Géorgie en 2008. Toutefois, le 21 mars 2011, Poutine exprima publiquement son désaccord «à titre personnel» avec la politique libyenne du président Medvedev. Son retour à la tête du pouvoir au Kremlin en mars 2012 mit fin à toute concession russe. La crise syrienne en fut le premier exemple. Résultat : Obama n’hésita point à un revirement de dernière minute en acceptant la proposition russe de démantèlement des armes chimiques d’Al-Assad, et ce, en contrevenant à sa ligne rouge. Cette victoire diplomatique russe fut un coup dur pour la crédibilité internationale du président démocrate. Bien qu’Obama permît d’éviter une autre aventure guerrière et de conserver un dialogue ou un semblant de coopération avec Moscou, sa concession équivalait à un abandon de l’opposition en Syrie.

En ce sens, le soutien américain au mouvement démocratique ukrainien pro-occidental pourrait rappeler la fameuse phrase du cardinal Richelieu au duc de Rohan lorsqu’il fit démonter son château : «Monseigneur, je viens de jeter une bonne boule dans votre jeu de quilles.» La boule lancée était explosive. La révolution ukrainienne suivie d’une transition démocratique et libérale pourrait représenter à long terme la fin du modèle autoritaire et kleptomane du président Poutine. Il fallait donc agir et agir vite ! Il attendit tout de même la fin des Jeux olympiques de Sotchi pour envahir la Crimée et l’annexer quinze jours plus tard. Il organisa des coups à Lougansk, Donetsk et Kharkiv ; justifia l’existence d’une Nouvelle Russie s’étendant de la Bessarabie au Donbass ; soutint officieusement les référendums organisés à la va-vite à Lougansk et Donetsk ; et arma et finança ses nouvelles entités illégales, allant jusqu’à leur envoyer du renfort militaire sans que l’Occident n’imposât quelque sanction significative. Seule la destruction du Boeing 777 de la Malaysia Airlines obligea moralement les pays occidentaux récalcitrants à imposer de sévères sanctions économiques et financières contre la Russie.

La politique américaine dans le conflit russo-ukrainien a été jusqu’à la semaine dernière très subtile et discrète. Les Américains sont restés en dehors de tout pourparler, ils ont laissé les Européens s’ingérer et négocier les deux traités de Minsk qui, rappelons-le, n’ont jamais été respectés par Moscou. C’est la raison pour laquelle nous en sommes au traité «Minsk II + énièmes nouvelles demandes russes». Le «Fuck the EU» de Nuland ne serait pas tombé dans l’oreille d’un sourd. L’ours russe ne semble prêt à négocier sérieusement qu’avec Washington, sur le format one-to-one, comme jadis, du temps de la guerre froide. En s’opposant à une aide militaire, à une candidature possible de l’Ukraine à l’Otan, en limitant les espoirs à une adhésion rapide à l’Union européenne, en contraignant Kiev à un Etat fédéral avec deux entités prorusses imposées par la manière forte, l’Allemagne et la France ont perdu beaucoup de leur prestige auprès de la classe politique et dans l’opinion ukrainienne alors que les Américains restent à leurs yeux l’allié fiable et loyal.

La visite du secrétaire d’Etat John Kerry à Sotchi, le 12 mai, surprit beaucoup et nombreux sont ceux qui s’interrogèrent sur les réels enjeux de ces négociations bilatérales. Le communiqué américain mentionna que Kerry et son homologue russe Lavrov discuteraient de la Syrie, de l’Iran et de l’Ukraine. En actes concrets, la rencontre déboucha sur la mise en place d’un canal diplomatique russo-américain à propos des affaires ukrainiennes confié à Nuland et à Grigory Krasin, le vice- ministre russe des Affaire étrangères.

Quelques semaines plus tard, la chancelière Merkel et le président Hollande demandèrent à Petro Porochenko d’accélérer le processus garantissant constitutionnellement le statut spécial des deux entités sécessionnistes du Donbass alors que le traité de Minsk exige auparavant un cessez-le-feu qui n’est toujours pas totalement respecté par les forces prorusses. L’appel franco-allemand, répondant aux vœux de Moscou et de Washington, fut accueilli froidement à Kiev. Il faudra attendre la venue en personne de Victoria Nuland pour convaincre les parlementaires les plus récalcitrants, dont ceux qui sont à l’origine du mouvement Maidan, de voter pour ce changement constitutionnel. Elle les invita la veille à l’ambassade américaine et fit le déplacement avec l’ambassadeur Pyatt à la Rada [le Parlement ukrainien] le jour du vote. Cependant, il fallut compter sur l’ancien Parti des régions du président déchu Ianoukovitch pour que ce changement constitutionnel fût légalement approuvé.

Il est sans doute choquant pour de nombreux Ukrainiens de voir une intervention étrangère si flagrante dans un vote d’une Assemblée élue démocratiquement. Peut-être ont-ils été trop naïfs. Toujours est-il que la priorité pour l’administration américaine est un rapprochement timide avec Téhéran, la destruction de l’Etat islamique et une solution de paix rapide en Ukraine. Aucun de ces objectifs ne peut être réalisé sans la participation russe.

On peut comprendre la logique américaine. Cependant, elle comporte un risque énorme. En incorporant les deux entités autonomes militarisées du Donbass, l’Ukraine garantit constitutionnellement la survie de l’ancien système kleptomane qui a si longtemps desservi le développement de ce pays. Elle donne carte blanche à la Russie pour intervenir dans ses affaires intérieures et dans sa politique extérieure. Elle oblige les contribuables ukrainiens à payer pour la reconstruction du Donbass. Pire, cette politique du statu quo pourrait entraîner à moyen terme un pessimisme généralisé dans la population ukrainienne et inciter les milices d’extrême droite armées à essayer de prendre le pouvoir par la manière forte. Enfin, elle validerait la stratégie russe qui consiste à créer des poches sécessionnistes dans tous les pays de l’ancienne Union soviétique, établissant ainsi un système de vassalisation.

La meilleure solution pour assurer la prospérité de la population ukrainienne serait que ce pays se sépare des entités créées par la Russie, obligeant ainsi celle-ci à payer le prix de sa politique agressive et destructrice. En reprenant l’expression mexicaine «Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des Etats-Unis», nous pouvons conclure que la tragédie de l’Ukraine est : «Pauvre Ukraine, si loin des Etats-Unis, si près de la Russie !» Les sandwichs de Nuland ont un goût bien amer après coup.

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