Xi Jinping, une visite aux Etats-Unis sur fond de méfiance
Le président chinois a entamé ce mardi sa première visite d’Etat aux Etats-Unis.
L’anecdote en dit long sur le niveau de méfiance entre les deux premières puissances mondiales. Lors de sa visite à New York dans quelques jours pour l’Assemblée générale de l’ONU, Barack Obama ne logera pas au mythique Waldorf Astoria, l’hôtel des présidents américains depuis 1947. Officiellement, la décision a été prise pour des raisons de «coût, de place et de sécurité». La presse américaine, elle, évoque surtout des craintes d’espionnage au sein du palace de Park Avenue, racheté fin 2014 par une compagnie d’assurance chinoise.
Dans un contexte sino-américain très crispé, le président Xi Jinping a entamé ce mardi sa première visite d’Etat aux Etats-Unis. Hormis une possible convergence sur le changement climatique, à quelques semaines de la COP21, ce sommet bilatéral ne devrait pas permettre d’aplanir les différends. Ambitions territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale, cyber-espionnage, droits de l’homme : les sujets de tensions ne manquent pas, auquels vient de s’ajouter in extremis le cas de Sandy Phan-Gillis, femme d’affaires américaine soupçonnée d’espionnage. Au point que certains spécialistes estiment que l’atmosphère entre les deux géants n’a jamais été aussi froide depuis la répression de Tiananmen en 1989. La Maison Blanche le reconnaît d’ailleurs : la visite du président chinois sera l’occasion «d’aborder les points de désaccord de manière constructive».
Négociation sur les cyberattaques
Dossier le plus brûlant : la cybersécurité. Selon le FBI, les cyberattaques chinoises contre des entreprises américaines ont augmenté de 53% en 2014. Et le récent piratage des données personnelles de millions d’employés fédéraux américains, attribué à des hackers chinois, a suscité la fureur de Washington. Pour faire monter la pression, des responsables américains ont laissé planer fin août la menace de sanctions contre les entreprises et individus liés à ces attaques. Des négociations ont été lancées en urgence. Elles pourraient déboucher, selon le New York Times, sur un accord bilatéral a minima en vertu duquel chacun s’engagerait à ne pas lancer de cyberattaques contre les infrastructures essentielles de l’autre – centrales électriques, système bancaire, réseaux de téléphonie, hôpitaux. Piratages industriel et commercial ne seraient en revanche pas concernés. «Le cyber-espionnage va probablement miner pendant des années la relation entre les deux pays», pronostique Jeffrey Bader, ancien conseiller Asie de Barack Obama, aujourd’hui à la Brookings Institution.
Autre sujet de discorde : les ambitions géopolitiques de la Chine, qui se considère comme l’égale des Etats-Unis et souhaiterait que Washington la traite comme telle. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, Pékin montre ses muscles, notamment vis-à-vis de ses voisins du Pacifique. Selon le Pentagone, de colossaux travaux de remblaiement ont ainsi permis à Pékin de créer 1200 hectares de terrains artificiels sur des îlots et récifs contestés de la mer de Chine méridionale. Trois pistes d’atterrissage à vocation militaire y seraient en construction, malgré les mises en garde de Washington. «Cette offensive remet en cause le statu quo territorial, au même titre que l’invasion et l’annexion de la Crimée par Vladimir Poutine», s’inquiète Dan Blumental, directeur des études asiatiques à l’American Enterprise Institute.
Diatribes des républicains
En dépit de ces vives tensions, Xi Jinping aura droit à tous les honneurs à Washington, des 21 coups de canon saluant son arrivée à la Maison Blanche au pompeux dîner d’Etat du vendredi soir. Un faste qui n’est pas du goût des républicains, à commencer par les candidats à la présidence. Marco Rubio, Scott Walker et Donald Trump ont dénoncé cette visite d’Etat, Trump suggérant d’offrir à Xi Jinping un hamburger McDonald’s plutôt qu’un dîner officiel.
Aux Etats-Unis, les campagnes électorales sont traditionnellement l’occasion de sévères diatribes antichinoises, populaires auprès des électeurs. Selon un récent sondage, 54% des Américains (et 63% des républicains) ont une image défavorable de la Chine, contre 36% seulement il y a cinq ans. Leur principale inquiétude : le fait que Pékin soit le premier détenteur mondial de dette américaine (1240 milliards de dollars). 67% des sondés y voient un problème très sérieux, d’autant plus à l’heure où la croissance chinoise s’essouffle et inquiète les marchés financiers. Dans ce contexte incertain, Xi Jinping a d’ailleurs choisi de commencer sa tournée aux Etats-Unis à Seattle, pour y rencontrer plusieurs grands patrons américains. Objectif : rassurer et montrer que la Chine reste une terre hospitalière pour le business. L’an dernier, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 592 milliards de dollars.
Silence sur les droits de l’homme ?
Enfin, comme à chaque visite d’un président chinois, la question des droits de l’homme suscite son lot de controverses. Dans la Chine de Xi Jinping, la répression envers les opposants, avocats et journalistes s’est durcie. D’après l’avocat Teng Biao, exilé aux Etats-Unis, au moins 2000 défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés ou condamnés en Chine depuis 2012. Une répression que beaucoup demandent à Barack Obama de dénoncer plus fermement. «Si le président Obama avait passé sa vie en Chine comme chrétien, avocat des droits civiques, professeur de droit constitutionnel, il ne ferait pas la fête avec Xi Jinping. Il serait très probablement en prison ou bien pire encore», a martelé le sénateur républicain Tom Cotton.
Malgré ces critiques, la Maison Blanche semble avant tout désireuse de ne pas froisser Pékin. Il y a quelques semaines, les diplomates du protocole chinois étaient à Washington pour régler les derniers détails de la visite présidentielle. Parmi leurs exigences : que les manifestants soient maintenus hors de portée de Xi Jinping, afin d’éviter toute image de contestation à la télévision officielle chinoise. Une demande à laquelle Washington semble avoir accédé. Lafayette Square, la place située en face de la Maison Blanche et où des militants des droits de l’homme prévoyaient de manifester, devrait ainsi être bouclée, officiellement pour raisons de sécurité. Cette apparente concession faite à Pékin a valu à l’administration Obama deux éditoriaux cinglants du Washington Post. Le premier appelant à laisser ouvert Lafayette Square. Le second ironisant sur la différence de traitement entre Xi Jinping et le pape François, qui sera reçu à la Maison Blanche deux jours plus tôt. En présence, malgré les protestations du Vatican, de militants transgenres et du premier évêque ouvertement homosexuel.
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