In the US, the Jackpot of Campaign Ads

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Aux Etats-Unis, le jackpot des spots de campagne

Une égérie du Tea Party qui soutient que son concurrent démocrate utilise l’argent des contribuables pour « payer du Viagra à des pédophiles et des violeurs » ; un prétendant démocrate à la présidence accusé d’avoir obtenu des décorations au Vietnam sur la base de mensonges ; un candidat au poste de gouverneur qui aurait le projet de créer des « chambres à gaz » pour « euthanasier en masse » les chiens et les chats abandonnés ; un prétendant à l’investiture républicaine soupçonné de vouloir inoculer aux jeunes filles une maladie sexuellement transmissible ; un opposant républicain affirmant que Barack Obama a soutenu la mise en place de cours d’éducation sexuelle dès la maternelle dans l’Illinois…

Autant de spots télévisés nauséabonds qui, depuis des décennies aux Etats-Unis, inondent les écrans en période électorale. Outre-Atlantique, la publicité politique télévisée est pleine de mauvaises manières, mais c’est une bonne affaire. Et les chaînes sont les premières bénéficiaires de cette juteuse joute télévisée.

Plusieurs milliards de dollars de rentrées publicitaires

Alors que la course aux primaires a démarré il y a quelques mois déjà, les candidats s’apprêtent à lancer leur grande offensive cathodique. L’année 2016 promet de battre tous les records. Les stations locales devraient empocher plus de 4 milliards de dollars de recettes publicitaires « politiques », en hausse de près de 16 % par rapport à la précédente élection en 2012. C’est du moins ce que prédit le rapport publié par le cabinet d’études de marchés Kantar Media. « La publicité politique connaît la plus forte croissance du secteur, note Elizabeth Wilner, chez Kantar. Dans un marché morose, c’est le seul segment qui progresse autant. »

Quant au cabinet de conseil Borrell Associates, il mise sur un montant de trois à quatre fois supérieur : plus de 16 milliards de dollars ! Un chiffre farfelu, selon certains experts. Les candidats ne sont pas les seuls à investir le petit écran. Les groupes d’intérêts dits indépendants – super-PAC (bras armé des donateurs privés), lobbies… – n’hésitent pas à débourser des sommes folles, la plupart du temps pour salir les opposants de leur favori. Et rien ne les entrave. La conséquence d’une décision, en 2010, de la Cour suprême des Etats-Unis, « Citizens United vs Federal Election Commission », permettant aux entreprises de financer sans limites les campagnes. En avril 2014, les règles du financement électoral se sont encore assouplies : les dons individuels ont, à leur tour, été déplafonnés. Si la démocratie américaine en prend un coup, les chaînes de télévision, elles, encaissent le jackpot.

85 % de spots “négatifs”

Les Etats violets – ceux qui n’ont pas de couleur politique dominante et peuvent basculer à droite comme à gauche – raflent le plus gros de la mise. Ainsi l’Iowa, le New Hampshire, le Nevada, l’Ohio, la Virginie, la Floride… La loi oblige les chaînes de télévision locales à diffuser ces publicités – à moins qu’elles ne renferment un caractère « obscène » ou que les chaînes soient en mesure de prouver, avant diffusion, leur caractère mensonger – et à offrir aux candidats les tarifs les plus bas. Aucune contrainte, en revanche, lorsqu’il s’agit de groupes d’intérêts qui, eux, paient le prix fort pour déverser leur venin sur les ondes.

En 2012, 85 % des spots politiques étaient « négatifs », comme on les appelle outre-Atlantique (par opposition aux spots dits « positifs » qui vantent les qualités et le bilan d’un candidat). « C’est un business lucratif mais difficile, et je n’ai jamais entendu parler d’une chaîne qui aurait refusé l’argent des super-PAC », indique Dennis Wharton, vice-président de la communication de la National Association of Broadcasters (syndicat représentant les intérêts des radios et des télévisions).

« Ces dernières années, de nombreuses chaînes de télévision locales ont fait l’objet de ventes et d’acquisitions, et celles qui encaissent de fortes recettes publicitaires politiques ont suscité toutes les convoitises », raconte Elizabeth Wilner, de Kantar. La télévision résistera-t-elle à la concurrence du marché digital, qui grappille petit à petit son espace ? « Par rapport aux autres marchés, la politique est beaucoup plus lente à investir dans la pub sur le Web, indique ­Elizabeth Wilner. Car, en politique, la télévision est un facteur de crédibilité : si vous avez les moyens de vous payer des spots, c’est que vous êtes un candidat sérieux. »

La pub télé politique a donc encore de beaux jours devant elle : « Il faudra attendre au moins 2024 avant que la pub digitale ne lui fasse de l’ombre », assure Corey Elliott, vice-président de la recherche chez Borrell Associates, qui prédit que, en 2016, plus d’un milliard de dollars seront investis sur la Toile.

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