En annonçant le jeudi 17 septembre [1] qu’elle n’augmentera pas les taux d’intérêt, la FED a surpris de nombreux commentateurs et spécialistes économiques.
Après presque sept années de politique monétaire faite d’assouplissement quantitatif et de taux d’intérêts proches de zéro, au plus grand profit de Wall Street, la FED préparait les esprits depuis plusieurs mois en laissant clairement entendre que l’heure d’un retour à la normale était venu. Sa crédibilité de banque centrale, et plus particulièrement la valeur du dollar en tant que monnaie de réserve internationale, ne pouvaient se permettre plus longtemps un tel laxisme. D’ailleurs, les statistiques de l’économie américaine, relayées de concert par des médias complaisants, étaient censées prouver un redémarrage de l’activité et justifiaient donc un resserrement de la politique monétaire.
Il n’en fut rien. La FED a opté pour le statu quo en reportant une énième fois sa décision de relever les taux. Cette décision montre l’impasse dans laquelle la FED se trouve aujourd’hui. L’économie américaine ne s’est en réalité jamais remise de la crise de 2008. Le chômage est officiellement inférieur à 6%, mais la population en âge de travailler sortie du marché du travail se dirige vers les 100 millions [2]. Le taux de pauvreté n’a jamais été aussi haut. Les politiques monétaires accommodantes de la FED n’ont rien réglé, elles ne sont en réalité que des fuites en avant. À cela s’ajoute la situation en Chine, qui connaît une décélération brutale de sa croissance. Face à cette situation les autorités chinoises ont décidé de baisser leur taux de changes afin de relancer leurs exportations. S’ouvre en Asie une guerre des monnaies entre pays exportateurs, pesant à la baisse sur la valeur de leurs exportations [3].
Ces deux phénomènes donnent un cocktail déflationniste explosif. Une baisse généralisée des prix peut paraître au premier abord une bonne chose pour les consommateurs que nous sommes. C’est oublier un peu vite la façon dont est structuré le système bancaire moderne. La déflation engendre un cercle vicieux : baisse des prix, baisse de salaires et des dettes qui deviennent proportionnellement plus lourdes et donc plus difficile à rembourser. À la vue du taux d’endettement de nos économies et de la place prépondérante qu’occupe notre système bancaire, on comprend que la déflation devient une menace pour tout un chacun [4].
Dans ces conditions la FED est dans l’impossibilité de remonter les taux car cela aurait pour conséquence d’aggraver le problème. Piégée par sa politique laxiste, elle ne peut que continuer à laisser croire qu’elle resserrera la vis dans le futur. Désarmée, la communication semble être son dernier moyen de ne pas perdre la face et toute crédibilité (d’où, d’ailleurs, la nuance apportée une semaine après la déclaration du 17 septembre).
Car en réalité, ce qui se profile, c’est la généralisation des taux négatifs comme dans un nombre croissant de pays tels que la Suisse, le Danemark ou la Suède. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la baisse généralisée des prix qu’exprime la déflation n’est que la conséquence d’une diminution de la masse monétaire en circulation, masse monétaire qui est la somme de l’ensemble des dettes émises par les acteurs de l’économie : particuliers et entreprises. Une étude de la banque d’Angleterre avait très bien expliqué que dans le système monétaire moderne, aujourd’hui ce sont les prêts des banques qui créent les dépôts et non l’inverse [5].
Ainsi, la FED doit à tout prix inciter les acteurs à s’endetter. Et quoi de mieux pour cela que de taxer l’épargne et les dépôts ? Si demain, l’argent qui dort à la banque voit sa valeur s’éroder au fil du temps qui passe, sûrement serons-nous disposés à le dépenser au plus vite ? Notre aversion au risque s’en trouvera diminuée. Autant investir dans des projets financiers ou immobiliers et s’endetter. De toute façon, on perd de l’argent à ne pas l’utiliser. C’est exactement le calcul que font la Fed et l’ensemble des banques centrales occidentales [6].
Il existe cependant un problème : l’argent liquide. En effet, toute personne censée face au taux négatifs s’empressera de sortir son argent de la banque sous forme d’argent liquide afin de le thésauriser sous son matelas ou pour l’échanger contre des bijoux ou des métaux précieux. Cela aurait pour conséquence un « bank run » engendrant la faillite de l’ensemble du système bancaire. En effet, les banques fonctionnant sur le modèle des réserves fractionnaires, leur équilibre repose uniquement sur la confiance que les déposants portent en elles. Les ratios de solvabilités des grandes banques sont à des niveaux alarmants et font l’objet de falsifications récurrentes [7].
C’est ainsi qu’il faut comprendre les différentes campagnes de communications autour de la suppression de l’argent liquide ainsi que les différentes lois pour en limiter l’usage [8]. Sous couvert d’avancées technologiques, d’aspects pratiques ou de luttes contre la fraude et le blanchiment, ce que les banques ont en ligne de mire c’est bien notre liberté de disposer de notre argent comme bon nous semble.
Et cela ne constitue qu’une étape. La volonté de suppression progressive de l’argent liquide [9] prépare l’avènement des monnaies digitales comme le Bitcoin. Monnaies digitales qui font l’objet d’une attention toute particulière des banques centrales ainsi que de financiers de renom comme Blythe Masters, qui vient de lancer une start-up spécialisée sur ces questions et qui montre un enthousiasme débordant sur le sujet [10].
Une monnaie digitale telle que le Bitcoin, pilotée par les banques centrales, représente le rêve des banquiers centraux et des marchés financiers. En effet, le Bitcoin fonctionne avec un système appelé « blockchain », qui enregistre l’ensemble des transactions réalisées au cours du temps. Il permet d’alimenter une base de données en continu, précieuse pour les banques centrales, qui peuvent ainsi contrôler plus finement la masse monétaire et la vitesse de circulation de la monnaie ; deux agrégats essentiels des politiques monétaires.
Une fois ce projet réalisé, les banques centrales, qui échappent à tout contrôle démocratique, auront fini d’étendre leur domination sur notre économie. Plus aucun obstacle ne pourra entraver leurs politiques monétaires folles. Loin des considérations des entreprises et des travailleurs, celles-ci ne sont destinées qu’à sauvegarder un système bancaire et financier parasitaire, injuste et spoliateur.
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