American Icons Are Feeling the Blues

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Elles ont fait rêver les consommateurs du xx e siècle. Elles ont contribué au soft power des Etats-Unis pendant des décennies. Mais aujourd’hui, ces marques emblématiques ne séduisent plus les jeunes Américains. Sauront-elles rebondir ?

L’été dernier, le peuple américain est tombé de haut lorsqu’il a appris que la voiture incarnant le mieux le « made in America » en 2015 était… une Toyota ! La Camry détrône les Chevrolet et les Buick dans le classement du très respecté Cars.com. Le reflet d’une fabrication mondialisée mais aussi, plus profondément, de la désaffection du public pour de nombreuses marques nationales. « Que représentent les produits phares de l’Amérique dans le monde ? Beaucoup moins qu’après la Seconde Guerre mondiale, quand fut créé McDonald’s et relancées des enseignes plus anciennes (Coca-Cola, Kellogg’s) grâce à la gloire acquise au combat », constate Kate Newlin, spécialiste des marques à New York.

Même à domicile, ces symboles de l’American way of life  ne font plus recette, victimes des transformations de la société. Ils n’ont, notamment, pas l’heur de plaire aux « Millennials ». Ces 73 millions de 18-34 ans – premier groupe démographique, selon Pew Research – refusent de rentrer dans les cases marketing habituelles. Exigeants, férus de numérique, avides de nouveauté, mobiles jusqu’au nomadisme, insensibles aux charmes supposés de la propriété, ils sont tout sauf des clients captifs pour les marques qui convoitent leur impressionnant pouvoir d’achat : 180 milliards de dollars. Or, ces jeunes consommateurs attendent un service performant et personnalisé peu compatible avec le business model des géants. « Le volume, le volume, voilà l’obsession des grandes marques, obligées de proposer une taille unique pour conserver leur efficacité, Coca-Cola doit composer avec les embouteilleurs intéressés par des produits standards tournant vite, McDonald’s avec les franchisés qui veulent vendre un maximum de menus classiques à prix d’appel. Ils sont désarmés pour répondre rapidement au besoin croissant de différenciation du public. » Les nombreux immigrants, souvent jeunes, qui modifient le visage de l’Amérique, imposent eux aussi leurs habitudes de consommation. Les Latinos (17% de la population) préfèrent les burritos de la chaîne Chipotle aux hamburgers de McDonald’s. Ils sont, avec les Noirs, plus fans d’eaux minérales, meilleures pour la santé, que de Coca ou de Fanta.

Sérieusement remises en question, concurrencées par de nouveaux concurrents plus petits et agiles, malmenées en Bourse, les grandes enseignes congédient leurs dirigeants, font le ménage dans leurs trop nombreuses adresses et licencient à tout va. Gros plan sur le déclin d’un pan de l’empire américain.

MCDONALD’S LE BIG MAC FAIT UN BIG FLOP

Le 22 janvier dernier, l’émission « Money » de CNN a frappé fort avec un bandeau glaçant en bas d’écran : « McDo, McDead ? » Des ventes en repli depuis trois ans sur le marché domestique, un bénéfice en berne pour la première fois (–22% en 2014 !), des centaines de restaurants fermés aux Etats-Unis, une réputation ternie en Asie par des scandales sanitaires en Chine et au Japon : c’est une avalanche de dégâts que doit réparer le nouveau patron, Steve Easterbrook, arrivé en mars. Même pas un Américain de souche ! Alors que son prédécesseur Don Thompson était un pur produit du pays et de la culture McDo, Easterbrook est d’origine britannique et a été choisi pour cela : il a relancé la filiale anglaise. A lui de rattraper les « Millennials », partis chez Panera Bread ou Chipotle. A 48 ans, Easterbrook bouscule les habitudes. Non seulement il propose une version XXL du burger, mais il introduit des fantaisies locales au menu : bâtons de mozzarella dans le Wisconsin ou rouleaux de homard en Nouvelle-Angleterre. Suffisant pour gommer l’image de malbouffe ? En tout cas, pour couper court aux critiques sur l’atmosphère bas de gamme des fast-foods, il teste le service à table dans une cinquantaine de restaurants. Le fondateur Ray Kroc aurait bien du mal à reconnaître son bébé !

KELLOGG’S LE GRAND PERDANT DU PETIT-DÉJ’

Kellogg’s est une autre victime de « l’ère de l’inquiétude nutritionnelle », selon la jolie expression de la consultante Kate Newlin. Depuis la fondation du géant du Michigan en 1906, on croyait immuable le rendez-vous matinal des Américains avec leurs céréales. On se trompait. Les jeunes se reportent sur les smoothies et les yaourts. Les Latinos et les Asiatiques n’ont pas la culture des céréales. Un gros problème pour Kellogg’s : les flocons représentent 40% de son chiffre d’affaires américain. Ses ventes liées au petit-déjeuner perdent 6% par an. Comment rendre leur éclat aux céréales ? Faut-il ajouter des protéines aux Special K selon la tendance du moment, ou les positionner « régime » ? Lancer des gourdes de céréales adaptées à la lunchbox des enfants, alors qu’eux aussi s’en détournent ? Un vrai casse-tête. Une initiative au moins fait consensus : les ingrédients artificiels seront bannis des céréales d’ici à 2018.

COCA-COLA MALADE D’UN RÉGIME TROP SUCRÉ

Pour Coca-Cola, c’est le sucre qui pose problème. Même le Diet Coke – dont les ventes ont plongé de 6% l’an dernier – ne soutient plus une industrie dépassée par les nouvelles préoccupations alimentaires. Le géant d’Atlanta est moins bien positionné que PepsiCo sur les eaux et les jus. Il dépend davantage des sodas, qui déclinent sur le marché américain pour la onzième année consécutive. Du coup, le groupe saupoudre le Coca-Cola Life de stévia, un édulcorant naturel, teste des innovations light dans sa filiale française et reconstruit son discours autour d’une nouvelle catégorie verte garantie « moins de calories ». Cet été, il a pris une participation dans les jus californiens bios Suja. Pour compenser ses difficultés aux Etats-Unis (47% du chiffre d’affaires), Coca accélère en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde. Ces régions ne se soucient pas – encore – de leur tour de taille…

WALMART L’IMAGE DÉTESTABLE DU PETIT CHEF DE RAYON

Que Walmart, numéro 1 mondial de la grande distribution, tousse et c’est l’Amérique qui s’enrhume. Du moins jusqu’à récemment. Décrié pour ses faibles rémunérations et ses positions antisyndicales, le premier employeur privé du pays a, au printemps, augmenté le salaire d’un demi-million de salariés pour corriger son image de mauvais patron. La situation est grave : six trimestres consécutifs de ventes en repli ou stables sur le marché américain, et un déclin encore plus marqué dans l’alimentaire. Du jamais vu ! Walmart est pris en ciseau. D’un côté, les discounteurs (Costco, Dollar Tree, Dollar General) pratiquent des prix toujours plus agressifs. De l’autre, sur le segment plus haut de gamme des produits frais et des plats préparés, Kroger et Safeway font beaucoup mieux. La concurrence d’Amazon sur Internet n’arrange rien. Depuis qu’il a pris les commandes en février 2014, le PDG Doug McMillon se bat pour inverser la tendance : investissements massifs dans la distribution en ligne, recrutements chez eBay, multiplication de magasins plus petits en centre-ville. Son effort commence à payer.

GAP L’EX-FAN DES SIXTIES EST PASSÉ DE MODE

Qu’il est loin le temps où Gap faisait la mode grâce à un col roulé noir porté par Sharon Stone avec une jupe Valentino, à quelques heures des Oscars ! C’était en 1996, et l’enseigne née en 1969 à San Francisco vivait une jeunesse insouciante avant l’arrivée de la fast fashion (Zara, H & M) et des marques pour petits budgets (Forever 21, TJ Maxx). Ses indéboulonnables « khakis » en toile et ses onze styles de jeans ne séduisent plus. En Amérique du Nord, les ventes s’effilochent. Art Peck, patron depuis février, a décidé de fermer 675 magasins. Une fois restructuré, Gap ne conservera que 40% des adresses qu’il avait à son apogée en 2000. Le groupe copie les méthodes de ses rivaux, accélère la fabrication et la mise en rayon. Nouvelle règle d’or, testée chez Old Navy : accoucher d’une collection en 15 semaines, contre 45 jusqu’ici.

ABERCROMBIE & FITCH UNE STRATÉGIE TROP BELLE ET TROP BÊTE

C’est sans PDG que la marque à l’élan a présenté, fin août, ses résultats du deuxième trimestre. Elle n’a pas trouvé de successeur à Mike Jeffries, qui a démissionné en décembre. Le groupe de l’Ohio, fondé en 1893, avait, jusqu’à il y a trois ans, la cote chez les adolescents grâce à un repositionnement décalé, amorcé au début des années 90 : sweats et tee-shirts hors de prix au logo surdimensionné, magasins sans lumière à la musique omniprésente et au parfum entêtant, vendeurs plus sexys que compétents. Mais le concept a fait pschitt. Entre le procès intenté par les vendeurs pour discrimination de look et la « logo fatigue » qui gagne les clients, la marque a enregistré neuf mois consécutifs de baisse des ventes et perdu un tiers de sa valeur sur l’année. Aux transfuges de Club Monaco, Ralph Lauren et Lucky de plancher sur un projet cohérent.

MATTEL LA MALÉDICTION D’UNE BLONDE

En septembre 2014, Mattel a cédé sa place de leader mondial du jouet à Lego. Le fabricant californien, qui a perdu 40% en Bourse sur douze mois, est désormais moins bien valorisé que son rival Hasbro. Il ne s’est jamais aussi mal porté en soixante-dix ans d’histoire. Il peine à se renouveler au-delà des Barbie (15% de l’activité) et des jouets premier âge Fisher-Price, trop chers. Jusqu’ici, les produits dérivés des films Disney raniment les ventes mais Mattel cédera, en 2016, la licence à Hasbro qui profite déjà de juteux accords avec Star Wars, Jurassic World, X-Men. En janvier, Christopher Sinclair a remplacé Bryan Stockton au poste de PDG. Cet ancien de PepsiCo saura-t-il appliquer au jouet les recettes qui lui ont réussi dans l’agroalimentaire ?

MTV UN VIEILLISSEMENT À HAUT DÉBIT

MTV a ouvert son antenne, en 1981, avec Video killed the radio star des Buggles (« la vidéo a tué la radio »). Un constat et un programme. Mais voilà, comme l’ont chanté The Limousines en 2010, Internet killed the video star (« Internet a tué la vidéo »). Celle qui se présentait comme la « chaîne d’une génération » ne séduit pas les jeunes. Les MTV Video Music Awards perdent 30% d’audience par an ! Difficile, pour une chaîne du câble de lutter contre YouTube et la musique gratuite. La filiale de Viacom mise tardivement sur les réseaux sociaux pour conquérir les 18-49 ans (87% de son public). Si le premier épisode de sa série d’horreur « Scream » (inspirée des films de Wes Craven) a rassemblé 5 millions de spectateurs en juin, c’est grâce à l’efficacité de Twitter et Snapchat, habilement utilisés comme relais de l’événement. Pour toutes les marques à la peine, ils sont désormais incontournables pour toucher des Millennials rétifs aux campagnes de com classiques…

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