Primaires républicaines : trop c’est Trump
Par Frédéric Autran, correspondant à New York — 16 décembre 2015 à 19:56
Les provocations délibérées du milliardaire républicain séduisent les mécontents du système et une partie des classes moyennes.
Primaires républicaines : trop c’est Trump
En l’espace d’une semaine, Donald Trump a appelé à fermer les frontières des Etats-Unis aux musulmans et à «éliminer» les familles des jihadistes. La semaine précédente, il s’était moqué du handicap physique d’un journaliste et avait réclamé le fichage des Américains musulmans. La liste des dérapages du milliardaire new-yorkais est interminable, les réactions familières. D’un côté, la presse, les commentateurs, et de nombreux élus s’insurgent, crient au racisme, voire au fascisme. De l’autre, ses partisans applaudissent à tout rompre. Et ils sont de plus en plus nombreux.
Critiquée dans le monde entier, l’idée d’interdire temporairement aux musulmans le territoire américain semble avoir renforcé l’avance de Donald Trump parmi les prétendants conservateurs à la Maison Blanche. Et pour cause : selon un sondage Washington Post-ABC, 59 % des électeurs républicains sont favorables à cette mesure. Résultat, Trump recueillerait 38 % du vote républicain. Voire 41 % – un record – selon une étude de l’université Monmouth (New Jersey). Près de trois fois le score de son premier poursuivant, Ted Cruz (14 %).
Parler-vrai
Aux yeux de ses supporteurs, Trump incarne le «parler-vrai», indépendant des lobbys et du politiquement correct qui musellent ses adversaires. Qui dit parler-vrai ne dit pas pour autant vérité, avec laquelle le magnat de l’immobilier s’arrange allègrement. Dernier exemple en date, lundi soir en meeting à Las Vegas, à propos des attentats de Paris : «D’après ce que j’entends, beaucoup d’autres gens vont mourir, car ils sont gravement blessés.» Quand il ne verse pas dans le mensonge, le favori des sondages cultive l’indécence. Toujours à propos du Bataclan : «J’ai un permis de port d’armes. Si j’avais été là-bas, si d’autres comme moi avaient été là-bas, si nous avions eu des armes pour riposter, ces assaillants auraient été tués.»
Fascinés par sa liberté de ton, les partisans de Trump partagent son mépris pour les élites politiques. «Ceux qui soutiennent des outsiders comme Donald Trump en ont plus qu’assez des politiciens de carrière, qui incarnent ce qu’Abraham Lincoln appelait “le désir vorace de s’accrocher au pouvoir”», précise Eddie Zipperer, professeur de sciences politiques au Georgia Military College (Etat de Géorgie). Selon un sondage New York Times-CBS publié mardi, 93 % des partisans de Trump se disent en colère ou mécontents du «système» en place à Washington. Un chiffre qu’on ne retrouve chez aucun autre candidat.
Le rejet des élites ne suffit pas à expliquer la pérennité du «phénomène Trump», qui se nourrit d’autres éléments : inquiétude d’une classe moyenne blanche malmenée par la mondialisation, nostalgie d’une Amérique toute-puissante et perte de repères face à la transformation pluriethnique de la société. Le tout dans un contexte international qui attise le sentiment d’insécurité. Et la recherche de boucs émissaires : les immigrés illégaux – que Trump veut tous expulser – et les musulmans. «Ce serait une erreur de croire que les supporteurs de Trump sont attirés uniquement par sa personnalité ou par le fait qu’il est un outsider politique, analysait en octobre John B. Judis dans la revue conservatrice National Review. En fait, Donald Trump défend un ensemble cohérent de positions idéologiques, même si ces positions ne sont pas exactement conservatrices ou démocrates.»
Laissé pour compte
D’après Judis, ses partisans appartiennent à une catégorie élaborée au milieu des années 70 par le sociologue Donald Warren : les Mars, ou middle american radicals. Ni totalement à droite ni vraiment à gauche, les Mars font partie de la classe moyenne blanche qui s’estime de plus en plus laissée pour compte. Celle dont les salaires n’ont pas augmenté depuis la crise de 2008, malgré la reprise.
Peu diplômés, ouvriers ou employés, ces électeurs se sentent «étouffés entre ceux d’en haut et ceux d’en bas», écrit Judis. En haut, les élites préoccupées par leur seul intérêt. En bas, les plus pauvres – appartenant souvent aux minorités ethniques – qui bénéficient davantage de l’Etat-providence. Ultraconservateurs sur le dossier de l’immigration, les partisans de Trump le sont beaucoup moins sur le plan fiscal ou économique. C’est pourquoi l’homme d’affaires promet de durcir le ton avec la Chine, le Japon ou le Mexique, pour «gagner à nouveau la bataille commerciale». Et vilipende les richissimes patrons de fonds d’investissement qui échappent à l’impôt sur le revenu. Idem lorsqu’il s’engage à protéger la sécurité sociale et Medicare, dont ses adversaires républicains veulent réduire les dépenses.
Inclassable politiquement, Donald Trump cajole les déclassés. Si ses dérapages répugnent une majorité d’Américains, ils n’entament pas la conviction de ses fidèles. Ces derniers ne seront sans doute pas assez nombreux pour envoyer «The Donald» à la Maison Blanche. Mais grâce à eux, le milliardaire peut espérer empoisonner jusqu’au bout la campagne républicaine.
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