Après la mort du juge Scalia, Obama veut faire pencher la balance
Le remplacement du juge ultraconservateur de la Cour suprême américaine fait débat : le Président veut nommer le successeur, les républicains veulent laisser le choix au futur locataire de la Maison Blanche.
Le temps de l’hommage et de la concorde, qui suit généralement le décès d’une figure nationale, n’aura duré que quelques heures. Cette fois ni trêve ni pudeur : la mort samedi d’Antonin Scalia, juge ultraconservateur de la Cour suprême, et le débat autour de sa succession ont aussitôt attisé les divisions qui minent la classe politique américaine.
«originaliste»
Il faut dire que le remplacement du magistrat de 79 ans est un enjeu considérable. L’orientation de son successeur, conservateur ou progressiste, fera sans doute pencher la balance idéologique de la plus haute instance judiciaire américaine, régulièrement chargée de trancher des questions capitales (avortement, peine de mort, immigration).
Composée de neuf magistrats, la Cour suprême penchait jusqu’à présent en faveur des conservateurs (cinq juges contre quatre), même si l’un des juges considéré comme conservateur (Anthony Kennedy) a parfois voté aux côtés des progressistes. C’est ainsi qu’en juin, la Cour a légalisé, par cinq voix contre quatre, le mariage homosexuel dans l’ensemble des Etats-Unis. Au grand dam d’Antonin Scalia, un catholique traditionaliste père de neuf enfants et adepte de la messe en latin. Se décrivant comme un «originaliste», Scalia défendait une lecture littérale de la Constitution, dont il martelait sans cesse qu’elle n’était pas un texte «vivant» sujet à interprétation. Après la décision sur le mariage homosexuel, il s’en était pris violemment à ses collègues, les accusant d’abuser de leur pouvoir en se mêlant de questions éthiques sans rapport avec la loi. «Un système de gouvernement qui soumet le peuple à un comité de neuf juges non élus ne mérite pas d’être appelé une démocratie», écrivait-il.
En vertu de la Constitution, c’est le Président qui nomme à vie les neuf juges de la Cour suprême, et il revient au Sénat de confirmer ces nominations. Quelques heures après l’annonce de la mort, dans son sommeil au Texas, du juge Scalia, Obama s’est engagé à désigner un successeur : «Je projette de remplir mes responsabilités constitutionnelles en nommant un successeur en temps voulu. J’aurai tout mon temps pour le faire, tout comme le Sénat pourra remplir ses responsabilités en auditionnant de manière juste cette personne et en votant à temps.» Anticipant l’opposition du Sénat, contrôlé par les républicains, Barack Obama a mis en garde : «Ce sont des responsabilités que je prends au sérieux, comme chacun devrait le faire. Elles dépassent un seul parti politique. Elles relèvent de la démocratie.»
«Cauchemar pour la République»
Les républicains rétorquent qu’un président en fin de mandat – même si c’est son droit – ne dispose pas de la légitimité pour effectuer une nomination aussi cruciale. Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, n’a pas caché son intention de bloquer le processus. «Le peuple américain doit avoir son mot à dire dans le choix du prochain juge de la Cour suprême. Cette vacance ne doit pas être remplie avant que nous n’ayons un nouveau président», a-t-il martelé, avec l’espoir qu’un républicain succède à Obama.
La mort de Scalia «promet d’être un cauchemar pour la République», résume Ross Douthat, chroniqueur conservateur au New York Times. Il ajoute : «Cela augure d’une guerre sans pareille jusqu’à novembre et ajoute une couche de folie à une campagne déjà marquée par les radicaux et les démagogues.»
Dès samedi soir, les prétendants à la Maison Blanche se sont emparés du sujet. Donald Trump a appelé le Sénat à «retarder, retarder, retarder» la nomination du prochain juge. Hillary Clinton a accusé les républicains de «déshonorer la Constitution». Quant au sénateur du Texas Ted Cruz, champion de la droite religieuse, il a appelé le Sénat à «tenir et dire que nous n’abandonnerons pas la Cour suprême pour toute une génération en laissant Barack Obama nommer un autre juge de gauche».
Dans ce bras de fer annoncé, Obama – et les démocrates – a clairement la meilleure main. Si le Sénat bloque son candidat, le Président s’empressera de dénoncer l’obstructionnisme des républicains, prêts à paralyser le système pour des intérêts partisans. Pour décrédibiliser ses adversaires, il pourrait nommer un candidat progressiste modéré qui, dans un contexte différent, aurait été jugé consensuel. Parmi les noms cités, celui de Sri Srinivasan revient avec insistance. Nommé en 2013 par Barack Obama à la Cour d’appel du District of Columbia, ce juge d’origine indienne avait été confirmé à l’unanimité par le Sénat, par 97 voix contre zéro. Vu le contexte, le siège du juge Scalia devrait malgré tout rester vacant. Conséquence : la Cour suprême, qui doit statuer en juin sur des dossiers liés à l’avortement et aux mesures migratoires du Président, pourrait se retrouver paralysée.
Le décès du juge Scalia attise l’intérêt pour les élections sénatoriales, qui se tiendront le 8 novembre, le même jour que la présidentielle : 34 sièges sur 100 sont remis en jeu, dont 24 détenus par les républicains. Pour beaucoup d’observateurs, les deux partis vont utiliser la bataille autour de la Cour suprême pour électriser et mobiliser leur électorat. Dimanche sur NBC, Ted Cruz n’a pas dit autre chose : «Nous devrions faire des élections de 2016 un référendum sur la Cour suprême.»
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