Scalia’s Death Upsets US Politics

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La mort du juge de la Cour suprême Antonin Scalia est l’événement politique de l’année aux États-Unis et devrait le rester jusqu’à l’élection.

J’ai eu la chance, il y a quelques années, de rencontrer Antonin Scalia lors de son passage à Montréal pour une conférence où il côtoyait son homologue canadien, le juge Ian Binnie (voir cet article et cette vidéo). Scalia était un homme éminemment sympathique et jovial dont l’accent italo-américain prononcé et le sens de l’humour plutôt cru me rappelaient vaguement le comédien Danny De Vito. Mais il ne fallait pas se laisser tromper par les apparences: en politique, Scalia était un joueur impitoyable dont les idées et les actions étaient fermement et ouvertement campées à droite.

En théorie, les juges d’une Cour suprême sont supposés être à l’extérieur du jeu politique, siégeant dans une sereine isolation, loin des regards et à l’abri de influence des groupes d’intérêts et des partis. Aux États-Unis, c’est une illusion. La Cour suprême est au cœur de la polarisation politique du pays et la situation récente reflétait bien cette situation avec quatre juges conservateurs d’allégeance républicaine (Alito, Roberts, Scalia et Thomas), quatre juges démocrates qui penchent plutôt à gauche (Breyer, Ginsburg, Kagan et Sotomayor) et un juge républicain au positionnement plus nuancé (Kennedy), dont les choix sont très souvent déterminants.

Antonin Scalia était le leader de l’aile conservatrice de la Cour, en plus d’être l’inspiration du mouvement dit «originaliste», qui soutient qu’il faut interpréter la Constitution en fonction de l’esprit du temps des pères fondateurs et non comme un document vivant et sujet à des changements d’interprétation en fonction de l’évolution des mentalités. En pratique, le départ de Scalia place la droite pure et dure en minorité à la Cour. C’est un coup dur pour le mouvement conservateur aux États-Unis, qui souhaite avant toute chose nier à Barack Obama la possibilité de nommer pour remplacer Scalia, qui sera forcément plus libéral. C’est pourtant la prérogative constitutionnelle du président de nommer un successeur à un juge qui quitte la Cour, avec «l’avis et le consentement» du Sénat. En bref, le président propose et le Sénat dispose.

Jeux de stratégie

Dès l’annonce du décès de Scalia, le président a signalé son intention de proposer un candidat pour le remplacer, un processus qui prend habituellement entre un et trois mois. En parallèle, le leader de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a annoncé que son parti refuserait toute nomination d’Obama, alléguant qu’il revient aux électeurs de choisir l’orientation de la prochaine Cour. Évidemment, les républicains sont en position de force, car ils disposent de la majorité (54 à 46) et il faudrait convaincre 14 républicains de se rallier au choix du président (pour passer outre à un vote de clôture, qui requiert 60 sénateurs). Dans le contexte actuel, un tel vote favorable à Obama correspondrait à un hara-kiri politique pour les sénateurs républicains qui subiraient l’ire des électeurs déjà gonflés à bloc de la base électorale de leur parti. À l’appui de sa décision, McConnell allègue qu’il y a une norme implicite qui empêche une confirmation pendant une année électorale. Il n’en est rien. S’il est vrai que les démissions volontaires ont plus souvent lieu en début de mandat, 14 juges dans l’histoire ont été confirmés pendant une année d’élection présidentielle (voir ici) et ce n’est que le fait du hasard si aucun remplacement suite à un décès n’a eu lieu dans de telles conditions depuis longtemps.

Selon toute vraisemblance, Obama va donner suite à son engagement et proposer un juge pour occuper le siège vacant. Même s’il fait de grands efforts pour nommer un modéré, celui-ci sera presque assurément considéré trop à gauche pour les sénateurs républicains, qui répondront aux appels du pied de leur base militante et des candidats à la présidence qui les appelleront à rejeter tout compromis. Le problème du point de vue politique, c’est qu’en annonçant à l’avance son refus de collaborer, le leader de la majorité donne une carte gagnante aux démocrates qui auront beau jeu de proclamer haut et fort la mauvaise foi de leurs adversaires.

Malgré cela, à moins qu’Obama n’arrive à nommer un candidat miracle dont la nomination ne reviendrait à rien de moins que de tenir les sénateurs républicains par les bijoux de famille, il est fort peu probable que le successeur de Scalia sera confirmé avant l’élection. Ce sera une lutte épique et il est à prévoir que plusieurs y laisseront plus que des plumes. Mais les conséquences immédiates ne seront pas que politiques.

Des conséquences juridiques immédiates

Dans l’immédiat, le décès de Scalia ne change pas l’ordre du jour de la Cour suprême, qui comporte plusieurs cas politiquement sensibles qui seront directement affectés par le nouvel équilibre idéologique de la Cour. Par exemple, dans le cas Friedrichs vs California Teachers Association, dont les plaidoyers ont été entendus en janvier, il était à peu près certain que la Cour s’apprêtait à renverser le jugement de la Cour d’appel de la Californie et porter un coup potentiellement fatal aux syndicats du secteur public. Un vote à égalité maintiendra le jugement californien et les syndicats pourront vivoter jusqu’à la prochain contestation judiciaire.

Un deuxième exemple intéressera les environnementalistes et les climato-sceptiques. Pas plus loin que la semaine dernière, la Cour suprême suspendait l’application des règlements liés aux accords de Paris sur les changements climatiques en l’attente qu’elle statue sur la légalité des décrets qui permettent la mise en vigueur des accords (voir ici). On verra ce qui va se passer, mais le départ de Scalia rend beaucoup moins probable un jugement défavorable au président. Il reviendra donc aux électeurs et non à cinq juges de se prononcer sur le rôle des États-Unis dans la lutte aux changements climatiques.

Et j’en passe. La Cour a en ce moment devant elle des causes qui concernent l’avortement, la contraception, la discrimination positive (affirmative action), la peine de mort, sans oublier les controverses extrêmement délicates qui touchent les politiques de restriction de l’accès aux urnes. De part et d’autre de la division partisane, ces jugements seront récupérés pour souligner l’importance d’élire un président et un Congrès qui feront pencher la Cour «du bon bord».

Une élection encore plus déterminante

Soudainement, les enjeux de l’élection de novembre—qu’on savait déjà énormes—viennent de prendre une tout autre dimension. De la décision des électeurs dépendra la composition de la Cour suprême et, de ce fait, la philosophie qui définira l’interprétation de la Constitution par tous les tribunaux pour les décennies à venir. En attendant, d’ici au 8 novembre, la polarisation et le caractère dysfonctionnel de la politique américaine seront encore plus en évidence et les électeurs auront d’autant plus de raisons d’exprimer leur exaspération.

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