The Roots of Evil

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Les racines du mal

Donald Trump persiste et signe, au grand désespoir et à la grande surprise de « l’establishment » du parti qui s’attendait à voir sa candidature imploser d’elle-même. Mais c’est un désespoir et une surprise qui sonnent faux. C’est qu’en Donald Trump, le Parti républicain ne fait que récolter ce qu’il sème depuis des décennies.

Le « super mardi » rapproche un peu plus « The Donald » de l’investiture républicaine à l’élection présidentielle, même s’il en est encore mathématiquement loin en ce qui concerne les délégués. Il s’en rapproche d’autant plus que ses principaux adversaires n’ont pas particulièrement brillé. L’archiconservateur religieux Ted Cruz l’a bien remporté dans « son » Texas, ainsi que dans l’Oklahoma voisin et en Alaska, mais ce ne sont pas des victoires qui menacent de grever la persistante popularité de M. Trump. Encore plus maussade a été la performance du sénateur de la Floride, Marco Rubio, sur lequel, ce faisant, l’establishment républicain peut manifestement de moins en moins compter pour assurer sa rédemption. Si la tendance se maintient, M. Trump aura décroché l’investiture républicaine en mai.

Ce qui est parlant dans la performance de M. Trump à l’issue des primaires et des caucus qui se tenaient mardi dans 12 États, c’est aussi le succès tous azimuts qu’il a obtenu auprès des électeurs blancs de classe moyenne modeste, indiquaient les sondages de sortie des urnes. Il a été dominant parmi les républicains plus modérés et plutôt laïques du Massachusetts comme au sein de l’électorat conservateur et évangélique des États du Deep South, épine dorsale traditionnelle du Parti républicain.

Ce n’est pas donc tant M. Trump qui est en train d’imploser que le parti lui-même. Le GOP pourrait être en train d’atteindre un point de rupture devant l’émergence de M. Trump, porte-voix — diabolique — d’une colère sociale qui n’est pas sans légitimité, par ailleurs. Une colère, fait notamment valoir le chroniqueur du New York Times, Thomas B. Edsall, qui est le résultat de la lente érosion de la qualité de vie économique de la classe moyenne américaine depuis 40 ans, érosion aggravée par la Grande Récession de 2008. C’est ainsi que le nombre d’emplois dans le secteur manufacturier a chuté de 36 % aux États-Unis entre 1979 et 2015 — pendant que la population croissait 43 %. À partir des années 2000, note encore M. Edsall, la classe moyenne ne continue pas seulement de rapetisser ; elle voit aussi diminuer la part des familles plus aisées (100 000 $ par année) qui en font partie. En fait, la seule catégorie sociale qui s’est agrandie depuis 15 ans concerne les foyers dont les revenus annuels sont de 35 000 $ et moins…

Avec le résultat qu’une large part de l’électorat républicain prend aujourd’hui acte de l’échec d’une doxa de droite fondée sur le libre-échange, la déconstruction de l’État et la déréglementation de l’économie. Et se rebelle contre les financiers de Wall Street et les élites politiques de Washington.

Là se trouvent les racines du mal qui ébranle le Parti républicain. Vrai du reste que le mal secoue également le Parti démocrate — Bernie Sanders en est l’expression —, mais de façon, jusqu’à preuve du contraire, autrement moins déchirante.

À ceci pourrait ainsi se résumer l’argumentaire de M. Trump : ce dernier continue avec une violence verbale inouïe à utiliser les vieux arguments républicains, consistant à promouvoir une conception militariste de la politique étrangère américaine et à diaboliser l’« autre » — le musulman, le Latino, le Noir… En même temps qu’il mange au même râtelier que M. Sanders en ce qu’il se pose, entre autres choses, en garant du système de sécurité sociale et en ce qu’il dénonce l’impact sur les petites gens des accords de libre-échange signés ces 20 dernières années. Il est d’ailleurs concevable, dans la mesure où M. Sanders et lui ont à leur corps défendant des positions politiques parfois convergentes, que M. Trump voudra maintenant commencer à pacifier son discours, tandis que semble se dessiner, lentement mais sûrement, un affrontement électoral avec Mme Clinton en vue de la présidentielle de novembre prochain.

« Je suis un rassembleur », a prétendu M. Trump mardi soir, comme s’il n’avait rien à voir avec la « guerre civile » que se livrent les républicains.

Sauf que, pour l’heure, c’est Mme Clinton qui est en train de réunir autour d’elle la base électorale du Parti démocrate, à en juger par les résultats du super mardi. Elle aura réussi là à coaliser les démocrates d’à peu près tous les horizons. Dans cette veine et à brève échéance, le défi est de ménager M. Sanders afin de ne pas faire fuir les jeunes et les électeurs blancs à revenu modeste qui se sont entichés du vieux sénateur du Vermont.

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