The John Oliver Phenomenon

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En annonçant son retour à la télévision avec la future émission Info, sexe et mensonges, Marc Labrèche a évoqué comme source d’inspiration John Oliver, animateur de l’émission américaine Last Week Tonight de la chaîne HBO. Mais qui est John Oliver? Rien de moins qu’un phénomène du petit écran et du web, qui a fait un tabac cette semaine en s’en prenant à Donald Trump! Portrait.

Tous les dimanches soir, en 30 minutes de parole seulement, John Oliver met en lumière des sujets délaissés par les médias traditionnels ou trouve des angles originaux pour aborder des sujets incontournables. Et son auditoire ne cesse de s’élargir, même s’il est diffusé sur une chaîne spécialisée (HBO).

C’est que chacun des segments de son émission, ainsi que des suppléments, se retrouvent rapidement sur la chaîne LastWeekTonight de YouTube. Et certains deviennent viraux. Si bien qu’on parle régulièrement de «l’effet John Oliver», car l’humoriste a parfois un impact réel sur l’opinion publique.

Par exemple, il y a deux dimanches, à deux jours du super mardi, il s’est lancé dans une charge contre Donald Trump. Bien malgré lui. Il ne voulait pas parler du politicien et lui donner de la publicité, mais, face à sa progression, l’heure était grave. En 20 minutes, il a démonté les mensonges et incohérences de Trump – et ce segment vient de dépasser les 16 millions de visionnements sur Youtube.

Estimant que le candidat républicain profitait surtout de la marque de commerce qu’est son nom, Oliver a sorti un lapin de son chapeau en révélant qu’à l’origine, le nom de ses ancêtres était Drumpf.

Se moquant du slogan «Make America Great Again», il a invité son public à rebaptiser le politicien sur le web pour lui enlever du lustre en créant un site, DonaldJTrumps.com, qui permet de transformer les occurrences de son nom. Résultat? #MakeDonaldDrumpfagain a été si populaire que pendant 24 heures, le mot «Drumpf» était le plus recherché sur Google après «Trump», dépassant les noms des autres candidats, Marco Rubio et Ted Cruz.

C’est ça, l’effet John Oliver. Le satiriste a, entre autres, fondé une fausse église pour démontrer qu’on peut recueillir des dons exempts d’impôts sur ce qui est clairement une arnaque. Il a aussi fait planter le site de la Federal Communications Commission en invitant les internautes à se plaindre à propos de la neutralité du web.

Un regard anglais sur le rêve américain

Comment cet humoriste britannique, qui a l’air d’un nerd à lunettes souvent éberlué, a-t-il réussi à s’imposer dans le paysage télévisuel américain?

John Oliver s’est notamment fait connaître en jouant un faux correspondant à l’émission satirique The Daily Show with Jon Stewart, qu’il cite comme l’une de ses grandes inspirations. «Les Américains ont généralement été meilleurs dans la satire politique, a-t-il dit dans une récente entrevue publiée dans le New York Magazine, en comparant l’humour british et américain. Personne en Angleterre n’est aussi bon ou n’a été aussi bon que Jon Stewart.»

Mais c’est vraiment avec sa propre émission sur HBO, lancée en 2014, qu’il a pris son envol – assez pour apparaître sur la liste des 100 personnes les plus influentes du magazine Time en 2015. Mais l’homme refuse de se considérer comme journaliste, même s’il fait souvent la nouvelle.

Armé d’une équipe de recherchistes du tonnerre, qui peuvent approfondir un dossier pendant des semaines, John Oliver livre ses éditoriaux humoristiques en plaçant ses blagues au bon endroit, abordant des débats hyper sensibles comme l’avortement ou la peine de mort, ou expliquant brillamment des nouvelles très compliquées et ennuyeuses.

À cet égard, son entrevue à Moscou avec Edward Snowden, cet informaticien en exil qui a mis au jour la surveillance de masse des internautes par la National Security Agency américaine, est un moment d’anthologie. C’est bien simple, Oliver a insisté sans relâche pour que Snowden lui explique comment au juste la NSA pouvait mettre la main sur la photo de son pénis sur son iPhone – et on a enfin compris comment cette surveillance marchait.

Attaché au rêve américain

Né en 1977 en Angleterre, John Oliver utilise ses origines et surtout son accent pour faire rire le public américain (qui adore ça, surtout quand il dit de gros mots… et il en dit beaucoup). Ses embûches pour obtenir sa citoyenneté américaine lui ont permis de raconter le cauchemar bureaucratique qu’est ce processus.

Mais qu’on ne s’y trompe pas: John Oliver n’est pas un expatrié qui est là pour pourfendre et regarder de haut les États-Unis. On le sent profondément attaché au rêve américain mis à mal par des gens sans scrupules.

«Quand vous avez vécu pendant trois décennies avec comme bruit de fond un type spécifique d’intolérance, un nouveau bruit de fond est préférable, a-t-il confié, toujours au New York Magazine. L’Amérique a encore pour moi cette odeur de voiture neuve.»

Son regard décalé est précisément ce que le public aime et qui fait qu’il écoute ses critiques intelligentes sans jamais se sentir attaqué. En ce sens, John Oliver incarne le citoyen idéal, et ce qui se fait de mieux en télé.

L’avis de trois fans

Louis T: humoriste, animateur à Selon l’opinion comique, chroniqueur à Bazzo.tv

«Il a donné un nouveau souffle à la satire américaine. Autant par le choix des sujets qu’il aborde que par l’audacieuse décision d’en parler longtemps, très longtemps. Il s’attaque à des sujets aussi sérieux que la neutralité du web, la peine de mort ou la Corée du Nord dans des segments pouvant aller jusqu’à 20 minutes. Un ovni dans un monde habitué à faire une ou deux blagues sur un sujet avant de passer à un autre. […] Oliver et son équipe sont parmi les premiers dans le genre à aussi bien exploiter l’internet. Déjà, lors de la première saison, il n’était pas rare que des segments de l’émission soient visionnés par 2, 3, voire 4 millions de personnes sur YouTube. Ce qui représente jusqu’à cinq fois les cotes d’écoute de l’émission. Il a compris qu’internet pouvait représenter la meilleure publicité possible et non uniquement un concurrent.»

Rafaële Germain, chef-auteure de la future émission Info, sexe et mensonges, animée par Marc Labrèche

«Quand on m’a approchée pour Info, sexe et mensonges, j’étais plus enthousiaste encore quand on a mentionné le nom de John Oliver. Ça fait un bout de temps que je me demande pourquoi on n’a pas quelque chose d’équivalent au Québec. […] J’ai vu John Oliver dans le show de Jon Stewart; il avait un petit rôle, mais je l’aime encore plus que Jon Stewart. Quand son émission a commencé, je suis devenue addict instantanément. C’est super fouillé, il s’appuie sur une recherche en béton sur des sujets controversés, avec un éventail de possibilités humoristiques extraordinaires. […] John Oliver maîtrise tellement bien sa matière. Il fait passer des choses graves et tristes sans diluer son propos, avec quelques gags qui permettent de reprendre notre souffle. Il pourrait avoir l’air très déplacé, mais on ne se dit jamais “non, ne va pas là…”. Rire peut éveiller la conscience, si c’est fait avec beaucoup de rigueur et d’honnêteté.»

Jean-Philippe Wauthier, coanimateur, Deux hommes en or, La soirée est (encore) jeune

«Il n’était pas mon préféré dans le Daily Show With Jon Stewart, mais, avec son émission, il a pris un créneau intéressant où il prend vraiment le temps de déconstruire la nouvelle. Plus personne ne fait ça. Ce que j’aime, c’est qu’il fait ce job avec rigueur et respect pour ceux qui l’ont précédé -sans Stewart et [Stephen] Colbert, John Oliver n’existerait pas. Il prend très bien cette place et c’est essentiel pour une société, car la culture de l’humour en information est très importante aux États-Unis; une partie de la population consomme ça. […] La prise au sérieux de la nouvelle, ça nuit parfois, parce que ça ne parle à personne. On oublie qu’on parle à du monde. René Lévesque clenchait là-dedans avec Point de mire. John Oliver fait de l’éditorial, amène des faits qu’on ne voit pas, des liens qu’on ne fait pas; ce n’est pas juste de l’édito, c’est de la pédagogie! C’est un peu comme l’équipe d’Enquête, mais avec une joke.»

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