Comment les historiens jugeront-ils la date du 30 août 2013, ce jour où Barack Obama renonça à bombarder la Syrie de Bachar al-Assad alors qu’il venait de franchir la ligne ligne rouge fixée par le président américain un an plus tôt, à savoir l’utilisation de gaz contre sa population? Souligneront-ils que Barack Obama a empêché son pays de sombrer dans une nouvelle guerre civile au sein du monde musulman tout en neutralisant des armes chimiques qui menaçaient Israël, la Turquie et la Jordanie? Ou retiendront-ils que ce fut le jour où le Moyen-orient échappa au contrôle américain pour tomber sous celui de la Russie, de l’Iran et de l’État islamique?
Ces interrogations – et bien d’autres – le journaliste américain Jeffrey Goldberg les a partagées avec Barack Obama lui-même au cours de nombreuses conversations durant plusieurs années. Il en a livré un compte-rendu pour le magazine The Atlantic dans un article intitulé «La doctrine Obama». Un exercice rare pour un président en exercice, mais dont on comprend qu’il est très soucieux de sa place dans l’Histoire. Disons tout de suite que, trois ans plus tard, Obama reste serein sur son choix de ne pas attaquer la Syrie. S’il l’est, c’est que sa décision résulte d’une lecture lucide des rapports de force, de la position des Etats-Unis dans le monde ainsi que des objectifs qu’il s’est fixés.
Dur envers ses alliés
Jeffrey Goldberg ne nous dit en fait rien de très nouveau sur la doctrine Obama. Ce dernier l’avait articulée à plusieurs reprises, en particulier devant l’Assemblée générale de l’ONU. Ces 70 pages d’enquête et de confidences éclairent par contre un style de pouvoir, l’articulation d’une pensée et en définitive la nature d’un stratège hors norme par les temps qui courent. Le président américain s’y montre presque plus dur envers ses alliés – qui ne sont pas à la hauteur (les Européens) ou qui ne défendent pas les mêmes valeurs (les autocrates arabes) – qu’envers ses concurrents chinois ou russes.
Aux yeux de Barack Obama, les principaux défis d’aujourd’hui sont l’intégration de la Chine au système international d’une part et la lutte contre le réchauffement climatique d’autre part. Les manœuvres de Vladimir Poutine apparaissent comme les derniers soubresauts d’un leader mal inspiré à la tête d’une puissance en déclin. Quant au Proche-orient, son poids est devenu secondaire depuis la révolution énergétique qui a permis aux Etats-Unis de s’extraire de sa dépendance aux hydrocarbures arabes.
A l’aune de Sun Zi
Barack Obama pense dans le temps long. Une façon de lire le monde qui surprend d’autant plus qu’en Europe, nos leaders démocratiques sont devenus prisonniers de la dictature de l’immédiateté médiatique et politique. Ses démonstrations – contre les interventionnistes de tous poils, militaires ou humanitaires, les experts des think tanks alignés sur Israël ou les Etats du Golfe qui les financent – ne convaincront pas les sceptiques qui tiennent ce président pour un naïf, un faible, un défaitiste, ou au mieux pour un idéaliste ou un fataliste qui précipite la fin de la puissance américaine.
La réalité est que les Etats-Unis sont aujourd’hui dans une position de force et de crédibilité bien plus grande qu’ils ne l’étaient il y a huit ans, à l’arrivée de Barack Obama à la maison Blanche, dans une Amérique ruinée par l’hubris d’une clique d’idéologues – qui pourrait faire un jour son retour.
«Le vrai pouvoir signifie que vous obtenez ce que vous voulez sans devoir exercer la violence», glisse Barack Obama à Jeffrey Goldberg qui l’interroge sur les interventions russes en Ukraine et en Syrie. Peut-être faut-il relire Sun Zi et son traité sur l’art de la guerre datant du VI e s. av. J-C pour bien le comprendre. Une pensée éminemment moderne.
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