le sommet de Doha est un échec
La nouvelle est tombée dimanche vers 20h : échec du sommet de Doha, aucun accord sur le gel de la production de pétrole n’a pu être trouvé. Nous aurions pu écrire des pages de commentaires accumulant les preuves devant conduire à un échec inéluctable. Le ministre iranien du pétrole aurait eu beau expliquer qu’il ne souhaite pas participer au sommet de Doha pour ne pas rater l’anniversaire de son petit-neveu, cela n’aurait rien changé. Les cours du pétrole ont été tirés vers 42 $ à la veille du week-end envers et contre tout. Peu importe que le FMI ait réduit ses anticipations de croissance mondiale à 3,1% et la Banque mondiale à 2,5%… peu importe que les stocks de pétrole américains aient bondi de 6,3 millions de barils mercredi… peu importe que la production industrielle ait été annoncée en baisse jeudi dans l’Eurozone puis aux Etats-Unis vendredi. En réalité, peu importe le réel, peu importe la conjoncture, peu importe que les participants au sommet de Doha aient décliné en toutes les langues et sur tous les tons toutes les raisons pour lesquelles aucun accord ne serait trouvé : le pétrole devait monter à l’approche de la séance des « Trois sorcières ».
Il devait monter parce que tous les autres motifs justifiant une hausse des actions n’étaient pas crédibles (croissance molle, profits en contraction, banques centrales sans marge de manoeuvre). De sorte que le dernier levier haussier utilisable était la relation mécanique — et programmée dans les algorithmes — entre l’or noir et les actions.
La ficelle est grosse comme une amarre de pétrolier. Les opérateurs savent que le marché flirte avec le degré zéro du raisonnement économique… mais hors de question de se mettre en travers du rouleau-compresseur haussier lancé à pleine vapeur depuis le 12 février dernier. La remontée inexorable des indices — voulue comme telle — s’accompagne symétriquement d’un effondrement des volumes. Cela trahit la démission des investisseurs de chair et d’os (gérants de portefeuilles, arbitragistes, institutionnels de type fonds de retraite). Avons-nous assisté à une hausse boursière « imbécile » la semaine dernière ?
D’un point de vue fondamental, cela ne fait guère de doute… mais ce n’est pas à ce niveau qu’il convient d’analyser l’accélération de 5% des 12, 13 et 14 avril. Comme lors d’une donne au poker : ce qui compte, ce ne sont pas les cartes que vous avez en main, c’est ce que vous en faites. Les sherpas en ont tiré le meilleur parti en faisant s’effondrer le VIX de 15% en 48 heures. Parallèlement, ils ont propulsé le CAC 40 vers 4 500 points, le DAX au-dessus des 10 000 et l’EuroStoxx 50 au-delà des 3 000. Il suffisait de tenir les scores durant 48 heures pour rafler la mise, et le coup fut exécuté avec une indéniable maestria, face — il est vrai — à une opposition quasi-inexistante… au bord de la capitulation. La séance de mercredi dernier avait donné lieu à un double coup de bluff : – Tirer les actions de façon outrancière et imputer cette montée en flèche à une statistiques chinoise qui aurait dû constituer tout sauf une divine surprise… – … Et arracher simultanément le baril de pétrole de 5% à la hausse, histoire de renforcer la fable de la reprise économique chinoise. Comme beaucoup d’opérateurs étaient vendeurs sur le pétrole dans l’anticipation d’un échec du sommet de Doha, le contrepied de mardi et mercredi les a contraints au rachat… C’est-à-dire à « se coucher » malgré une paire d’as en main et un troisième as sur le tapis : trop peur d’une couleur (le noir naturellement) dans la main adverse qui n’avait même pas une paire de 2… mais une très grosse pile de jetons.
Faisant semblant de ne rien avoir compris au coup de bluff sur le pétrole et les exportations chinoises, les permabulls se sont empressés de construire a posteriori le discours justifiant une hausse qu’ils n’ont pas vu venir (les grandes peurs du début de l’année ne reposaient sur aucun motif sérieux) et surtout… à laquelle ils n’ont pas participé. C’est ce que démontre de façon éclatante l’évaporation des volumes.
A tel point que la séance technique des « Trois sorcières » s’est soldée par moins de trois milliards d’euros échangés avant le fixing et 3,65 milliards au coup de cloche final… Cette activité incroyablement faible semble démontrer qu’il n’existe plus qu’un seul joueur devant la table de poker boursier, les autres n’ayant même plus envie d’y faire de la figuration. Chute du pétrole et retombées négatives Maintenant que le sommet de Doha s’avère être le fiasco que les opérateurs dotés d’un cerveau en état de marché anticipaient, sur quoi vont reposer les espoirs des permabulls ? Sur la tenue d’un prochain sommet en juin où les principaux producteurs de pétrole (Russie, Arabie, Irak, Venezuela) s’entendront enfin pour geler la production à deux millions de barils au-delà de ce que la planète consomme ? Comme dans le même temps l’Iran espère exporter fin 2016 un million de barils par jour de plus que fin 2015 (soit 600 000 barils de plus qu’en mars)… la seule possibilité de voir se réduire les excédents de production, c’est que les exploitants de pétrole de schiste américains fassent massivement faillite. Une alternative que le ministre saoudien de l’Energie, Ali Al-Naïm, avait évoqué lors d’un déplacement sur le sol américain fin février. Il n’avait fait que réitérer un avis formulé dès fin novembre 2014, qui avait été perçu à l’époque comme une déclaration de guerre des prix à l’encontre des Etats-Unis. L’Arabie Saoudite n’avait de tout façon pas intérêt à signer ce week-end un armistice synonyme de remontée des cours. En effet, en ce moment même, les producteurs américains — étranglés financièrement et en pleine renégociation de leur dette — n’ont que l’espoir d’une remontée du baril vers 50 $ d’ici fin avril pour espérer pouvoir tirer de nouvelles lignes de crédit… ce qui ne leur assurerait en fait que quelques mois de survie supplémentaires.
La rechute des prix du pétrole qui se dessine va entraîner plusieurs retombées négatives pour Wall Street et les indices européens : – Chute mécanique des actions dans le sillage du pétrole, victime de la rivalité Arabie Saoudite contre Iran/Etats-Unis. – Résurgence des spéculations sur les faillites de producteurs de pétrole de schiste, plombant les comptes de grandes banques américaines comme Bank of America, Wells Fargo, JP Morgan… et beaucoup d’acteurs locaux au Texas ou Arkansas. – Chute des commandes de biens et services en provenance des pays producteurs de pétrole — devenant débiteurs — auprès des pays occidentaux et de la Chine. – Risque de voir les pays producteurs contraints de poursuivre les cessions d’actifs financiers au travers de leurs fonds souverains, comme l’ont déjà fait l’Arabie et la Norvège. – Persistance des pressions déflationnistes dans les pays développés et constat que les banques centrales ont épuisé leur arsenal — ou plutôt épuisé la confiance des marchés dans l’efficacité de leur arsenal. C’est ce cinquième et dernier élément qui représente de très loin le plus grand péril pour un système financier dont la survie ne repose, depuis 2009, que sur la foi dans une illusoire infaillibilité des banques centrales.
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