Rise Up, Latinos

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Printemps 2006, les Latinos se sont mobilisés comme jamais aux États-Unis contre les politiques anti-immigrants des républicains. « Aujourd’hui on marche, demain on vote », clamaient les manifestants. Dix ans plus tard, l’influence de la minorité latino en temps d’élections reste secondaire au regard de sa formidable croissance démographique.

Dans la seule ville de Los Angeles, en ce 26 mars 2006, 500 000 personnes étaient descendues dans la rue pour protester contre les mesures de criminalisation des clandestins, votées au Congrès par les républicains. Un coup de gueule collectif plus grand encore que les protestations contre la guerre du Vietnam, 35 ans plus tôt. D’autres « journées sans immigrés » allaient se tenir dans plusieurs villes américaines pendant tout le mois d’avril, les Latinos faisant grève par centaines de milliers, afin de rappeler aux consciences leur contribution clé à l’économie et au marché de l’emploi américains.

Il y a 50 ans, les Latinos formaient 3 % de la population américaine. Ils sont aujourd’hui une communauté d’environ 55 millions de personnes (17 % de la population), encore que ces chiffres soient nécessairement imprécis, vu la présence de quelque 10 millions d’illégaux. Quoi qu’il en soit, les Latinos constituent maintenant la plus importante minorité du pays, devant les Noirs. Dans un État électoralement aussi important que le Texas, ils représentent presque 40 % de la population, et leur proportion va croissant. Pour autant, le « aujourd’hui on marche, demain on vote » est largement resté lettre morte. Pourquoi ?

Étonnant, tout de même, que les énormités proférées par Donald Trump, qui a promis s’il devient président d’expulser les illégaux et d’étanchéifier la frontière aux frais du Mexique, n’aient pas suscité de dénonciations plus massives. À côté du mouvement Black Lives Matter, né ces dernières années des cas multiples de violence policière contre des Noirs, la communauté latino a l’air apathique, alors qu’elle aurait toutes les raisons de se braquer contre la brutalité des politiques d’expulsion des illégaux appliquées par Washington depuis trop longtemps.

La proportion des électeurs latinos qui vont aux urnes a crû depuis dix ans, mais elle demeure nettement inférieure à celle des Blancs, comme en fait à celle des Noirs. Pourrait-il en être autrement lors de la prochaine présidentielle ? Difficilement. L’arsenal des mesures utilisées par les républicains pour faire obstruction à l’exercice du droit de vote des minorités — majoritairement acquises aux démocrates — ne faiblira pas. Le détournement de démocratie qui a permis à George W. Bush de prendre le pouvoir en 2000 peut théoriquement se reproduire.

D’autant plus que le prochain scrutin présidentiel sera le premier à se tenir depuis l’invalidation par la Cour suprême, en juin 2013, d’un pilier (l’article 5) de la Loi sur les droits de vote de 1965. L’article 5 aura joué dans l’histoire contemporaine des États-Unis un rôle fondamental dans la mesure où il donnait au gouvernement fédéral le pouvoir de bloquer des lois électorales jugées discriminatoires dans des États — comme le Tennessee, la Géorgie et l’Alabama — au lourd passé ségrégationniste. En 2013, la Cour suprême jugeait, dans une décision serrée de 5 contre 4, que cet article était devenu inutile pour la raison, pour le moins discutable, que les États-Unis avaient maintenant surmonté leur passé raciste…

Redécoupage des districts à l’avantage des républicains, réduction des périodes de vote par anticipation, exigences accrues de preuves d’identité dans les bureaux de vote au prétexte, totalement fallacieux, que les non-citoyens se ruent sur les urnes et votent illégalement… Les républicains ont développé une véritable science du contrôle du droit de vote. Cette science permet de prémunir le vote des « Anglos » contre la pression démographiquement croissante des minorités dans des États essentiels à la survie du parti comme l’immense Texas.

À cette dynamique se conjugue une dimension de nature plus « psycho-politique ».

Être originaire d’Amérique latine, c’est en connaître l’histoire politique répressive et l’avoir intériorisée. Dans les États du Sud, où persistent les vieilles méfiances ethniques et raciales, la majorité blanche perpétue une culture d’intimidation. Avec le résultat que, tout citoyens américains qu’ils soient devenus, beaucoup de Latinos vont s’empêcher d’aller voter par peur de passer pour des illégaux. Dans cette lutte de pouvoir qui n’est pas près de prendre fin, mais dont les républicains, à se murer, seront finalement perdants, les choses changeront plus vite à partir du moment où les Latinos oseront défendre leurs droits politiques avec plus d’aplomb.

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