La relation entre la mondialisation et les Etats explique la poussée du populisme. Aux Etats-Unis comme ailleurs, il faut trouver le moyen d’y répondre autrement que par le retour aux frontières fermées.
Au regard de la nullité de ce qu’il propose, Donald Trump devait être arrêté à l’automne dernier, assurait l’intelligentsia. Son électorat devait fondre. Il était toujours là à Noël. Puis les primaires ont été ouvertes et, contre toute attente des gens « intelligents », il est parvenu à les gagner une par une. Le voilà candidat républicain présumé face à Hillary Clinton qui doit encore vaincre complètement Bernie Sanders. On disait, il y a quelques mois, que Trump était « la chance d’Hillary », qu’elle aurait une victoire facile contre lui. On commence aujourd’hui à en douter. La haine contre l’establishment qu’elle symbolise et l’habileté de Donald Trump à reprendre les critiques élevées par Bernie Sanders contre elle (la candidate de Wall Street, son libre-échangisme mortel) donnent la glaçante impression que rien n’est joué.
Le populisme ne présente rien de sérieux mais il est temps de le prendre au sérieux. Il monte partout en puissance. Le voilà aux portes de la Maison-Blanche, tout comme le parti Ukip pourrait remporter le référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Les victoires en Hongrie, en Pologne, en Autriche sont mises sur le compte de la spécificité de ces « petits » pays. Si les Etats-Unis et la Grande-Bretagne basculaient, la planète prendrait un drôle de visage.
L’attirance des peuples pour le renversement des tables, le « jamais essayé », l’hétérodoxe, peut devenir irrésistible. Les reculs de l’esprit de sérieux, de compromis, de bon sens sont quotidiennement alarmants. L’invraisemblable, que représente Trump, peut-il demain gouverner l’humanité ?
La dérive populiste grandissante vient du blocage de la relation entre la mondialisation et les Etats. L’ouverture des échanges depuis la guerre a été extraordinairement bénéfique pour les pays émergents et deux ou trois milliards d’êtres humains. Dans les pays développés, le libre-échange a aussi été globalement très bénéfique. Mais il a fait des perdants : les personnes à qualification moyenne, les salariés des entreprises de qualité faible et les habitants des pays mal gérés comme la France, l’Italie, la Grèce, mais aussi le Moyen-Orient dans son ensemble, l’Afrique, sauf exception, etc., la liste est longue.
Ces dégâts ont été longtemps niés. Parce qu’ils étaient mis d’abord au compte des technologies, que personne ne songe à bloquer, et considérés en conséquence comme inévitables. Parce que, ensuite, les gouvernements, incapables d’opérer le gigantesque effort d’adaptation/transformation de leur modèle, ont discouru sur le « çà ira mieux ». La crise de 2008 les a paradoxalement servis, il faut attendre que la croissance revienne. Les dégâts finiront par être amortis, la prospérité finira par profiter à tous et le populisme disparaîtra naturellement après la phase de transition. Tout reviendra dans l’ordre. Aujourd’hui, force est de constater que ces discours attentistes perdent la partie. La dégradation des classes moyennes dans les faits (aux Etats-Unis) comme dans les esprits (en Europe) les prend de vitesse et nourrit la révolte.
La spirale entre la mondialisation et les Etats a fait un demi-tour, ce n’est plus la politique qui souffre de l’économie, c’est l’économie qui souffre de la politique. Le FMI ne cesse de réduire les perspectives de croissance, le commerce international est ralenti, le déséquilibre des balances des paiements persiste. Les politiques monétaires, jouant, elles, à fond la carte de l’hétérodoxie, ont épuisé leur force. Les réformes du système financier ont sécurisé les banques mais ouvert grande la porte à la finance non régulée, ce qui n’aboutit à rien : la finance, riche de son abondance, est toujours reine et toujours plus volatile.
Une crise généralisée de gouvernance touche les nations, les organisations régionales comme l’Union européenne, et le niveau global. Dans les Etats émergents qui n’ont pas su adopter des règles anticorruption dignes de leur développement, le retard de la démocratie bloque. Dans les Etats avancés, la politique traditionnelle est débordée, même si certains pays s’en sortent mieux. Le problème est que les Etats peuvent amortir plus ou moins bien les dégâts, mais la racine du mal (instabilité, dumping social, inégalités…) plonge dans la carence du niveau international.
Les gouvernements du monde n’ont pas été capables de se mondialiser pour se mettre en position de souveraineté face aux marchés économiques. Ce qui a été fait en matière climatique à la COP21, les sociétés civiles et les Etats acceptant des contraintes communes, est à faire d’urgence en matière économique et sociale. Des premiers rapprochements existent, comme sur la lutte contre l’évasion fiscale, mais la dissension est complète sur l’essentiel.
Trois réactions politiques sont possibles. Premièrement, la fuite. C’est la tentation de la gauche en France par exemple. Ces événements sont trop telluriques, ce n’est pas le bon moment de gouverner, mieux vaut crier confortablement dans l’opposition. Deuxièmement, le trumpisme, le lepénisme, c’est-à-dire le retour au monde d’avant derrière des frontières. Cette solution n’en est pas une, les barrières nécessaires deviendront toujours plus hautes et les haines plus fortes. Mais elle marque des points dans les classes moyennes. Troisièmement, le renouveau idéologique de ce que doivent devenir l’Etat, d’une part, et l’interétatisme, d’autre part, dans le monde neuf. Les réformes dites « structurelles » au niveau national sont assez bien connues, il faut trouver qui saura les implanter. Reste le point de faiblesse : l’international. Il faut refaire l’Europe et inventer une nouvelle coopération mondiale sur la monnaie, le commerce, la fiscalité, l’énergie, la finance, les migrations. Vivement qu’Hillary soit élue et que les gens intelligents se mettent au travail.
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