Dans l’ombre trouble de Trump
Paul Manafort, le principal conseiller du candidat républicain, dirige l’une des boîtes de management politique les plus puissantes du pays, et probablement la plus cynique, rappelle notre chroniqueur Alain Campiotti
Pour la première fois, Donald Trump a eu recours à un téléprompteur. Il parlait du monde. Avec un si vaste sujet, il fallait éviter les dérapages embarrassants. Le de facto candidat républicain a donc lu un texte qu’on avait préparé pour lui. «America first», l’Amérique d’abord, l’Amérique seule. Le grand blond ignorait probablement d’où vient ce slogan: c’était celui de la campagne isolationniste, antisémite et xénophobe de Charles Lindbergh, ami des nazis, à la fin des années 30.
Le «lobby des tortionnaires»
Trump le bavard, maintenant que novembre est dans le viseur, a été pris en main. Il a derrière lui des operatives – le français n’a pas le bon mot – qui savent comment on prend le pouvoir et comment on s’en sert. Leur chef, Paul Manafort, un vieil ami du candidat, dirige l’une des boîtes de management politique (ou de manipulation) les plus puissantes du pays, et probablement la plus outrageusement cynique. Une ONG américaine a baptisé ainsi sa clientèle internationale: le lobby des tortionnaires.
Donald Trump n’est sans doute pas une marionnette suspendue à des fils. Mais il vaut la peine de faire un petit tour (avec passages en Suisse) parmi les clients de Manafort & Co pour voir ce que le républicain a dans ses bagages.
C’est une longue histoire. Elle peut commencer avec Ferdinand Marcos, conseillé par la firme et protégé des Etats-Unis jusqu’au jour de 1986 où Ronald Reagan lâcha cet allié devenu trop encombrant. Manafort, qui avait aussi œuvré à l’élection de Reagan, eut le flair averti de rompre son contrat philippin quelques heures avant la volte-face américaine. Mais Marcos avait eu le temps de planquer en Suisse le fruit de ses pillages.
Mobutu était aussi un client de Paul Manafort
Au même moment, Paul Manafort était le conseiller de Siad Barre, qui en 1991 a abandonné la Somalie dans un état de déliquescence dont on mesure les effets aujourd’hui encore. Mobutu Sese Seko, qui a mis en coupe réglée le très riche Zaïre, devenu Congo, était aussi un client de l’Américain; ce kleptocrate a laissé une très longue trace puisque son manoir de Savigny, près de Lausanne, vient d’être mis en vente. Sani Abacha, le Nigérian, qui n’avait pas grand-chose à envier à Mobutu, était également un obligé de la firme; à sa chute, en 1998, les banques suisses ne savaient plus où cacher ses paquets de millions de dollars détournés.
Jonas Savimbi fut aussi un étonnant client. L’Angolais, étudiant à Lausanne, était le protégé, à la fois, de la gauche locale et d’un professeur radical de l’Université. A l’indépendance de son pays, devenu un terrain chaud de la guerre froide, Savimbi, le marxiste sous influence chinoise, s’est laissé convaincre par Paul Manafort et d’autres operatives américains qu’il serait plus profitable pour lui de changer de camp. Il a alors reçu beaucoup d’armement et d’argent pour livrer au gouvernement angolais, soutenu par l’URSS et Cuba, une guerre d’une cruauté sans retenue. Quand Mikhaïl Gorbatchev a décidé que cet absurde conflit civil avait assez duré, Manafort était de ceux qui poussèrent à la poursuite des combats, et Savimbi a continué à recevoir des armes.
Le nom de l’Américain apparaît dans l’enquête sur le financement de la campagne d’Edouard Balladur
Le nom de l’Américain apparaît également dans des dossiers plus familiers, mais tout aussi nauséabonds. Par exemple dans l’enquête sur le financement de la campagne d’Edouard Balladur pour l’élection présidentielle de 1995. Rappel: le gaulliste est soupçonné d’avoir alimenté sa caisse avec de l’argent provenant de la vente de sous-marins français au Pakistan.
La justice genevoise s’est récemment mêlée de cette affaire, car les commissions occultes passaient par des intermédiaires résidant en Suisse. Or, une partie de cet argent a été versée à Paul Manafort. Pour des conseils fournis à Balladur? Peut-être. Mais il y a un niveau plus profond. Manafort était aussi le lobbyiste à Washington du Kashmiri American Council, qui tentait d’orienter la position des Etats-Unis dans le conflit qui oppose l’Inde et le Pakistan au Cachemire. Tout le monde savait dans la capitale américaine que le Council était une couverture de l’ISI, les puissants services de renseignement pakistanais. Et l’ISI n’a pas pu être étranger à la transaction sous-marine avec la France.
Paul Manafort, proche du président ukrainien déchu Viktor Ianoukovitch
Plus proche encore, et plus actuel: l’Ukraine. Paul Manafort est devenu, il y a plus de dix ans, le très actif conseiller de Viktor Ianoukovitch, le président chassé de Kiev par la révolution de Maidan en 2014, réfugié aujourd’hui en Russie. L’entrée ukrainienne de l’Américain passait par une brochette d’oligarques, Rinat Akhmetov, Dmyrto Firtash, et le Russe Oleg Deripaska, qui furent tous, à un moment ou à un autre, des soutiens de Ianoukovitch. Manafort a commencé à choyer le président déchu après sa défaite en 2004 devant les vagues de la révolution Orange. Il l’a aidé à remonter la pente, à gagner deux ans plus tard les élections législatives, puis en 2010 la présidentielle.
Cette présence constante d’une puissante machine politique américaine auprès d’un homme protégé par Moscou rend légèrement dérisoire l’accusation, répétée par Vladimir Poutine et ses amis, selon laquelle Maidan était un complot occidental. Et Paul Manafort n’est peut-être pas pour rien dans l’amicale admiration dont Donald Trump gratifie le président russe.
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