Barack Obama a choisi de ne pas prononcer d’excuses, au grand soulagement de Shinzo Abe et des élites japonaises, tant cette tragédie occulte encore aujourd’hui le vrai rôle du Japon pendant la guerre.
Au Japon, c’est la saison des voyages scolaires. Jeudi, à la veille de la visite historique de Barack Obama, premier président américain en exercice à venir dans la ville martyre, des milliers d’élèves de primaire et de secondaire se pressaient dans les allées du musée de la Paix d’Hiroshima pour tenter d’appréhender le drame.
Ils ont vu les statues de cire, à taille réelle, représentant des enfants brûlés vifs dans les trois secondes qui ont suivi l’explosion, le 6 août 1945, de la bombe atomique « Little Boy » au-dessus de la ville. Plus loin, des restes de peau et d’ongles prélevés par une mère sur le cadavre de son fils. Et des images atroces, en noir et blanc, de corps irradiés. Dans le dernier couloir, ils ont signé un livret appelant la communauté internationale à renoncer aux armes nucléaires. Enfin, ils sont ressortis effarés par la violence et l’inhumanité du drame qu’a vécu leur nation il y a soixante et onze ans. A aucun moment, ils n’auront été exposés aux causes du drame.
L’ensemble du musée célèbre une forme d’année « zéro » du Japon, passé soudain, en août 1945, du statut d’agresseur brutal de l’Asie à celui de victime. Non loin de là, dans le mémorial pour les victimes de la bombe atomique, construit au début des années 2000 par le gouvernement, quelques lignes expliquent vaguement « qu’à un moment, au XXe siècle, le Japon a pris le chemin de la guerre » et que « le 8 décembre 1941, il a initié les hostilités contre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres ».
Pas d’excuses, pas d’introspection
Nulle évocation de la colonisation brutale de la région par les troupes nippones au début des années trente. Rien sur les massacres de civils et les viols de masse commis en Chine, à Nankin. Pas une ligne sur le sort des milliers de jeunes femmes asiatiques transformées en esclaves sexuelles pour les soldats nippons dans la région. Aucune mise en perspective permettant aux visiteurs japonais de tenter un travail de mémoire similaire à celui réussi en Allemagne dès la fin du conflit. Les enfants japonais n’ont pas d’équivalent de Dachau à visiter.
Beaucoup ont, un temps, espéré que Barack Obama bouleverserait cette lecture, qui a été confortée par des années d’un enseignement et d’une culture populaire expliquant que le pays et son empereur, Hirohito, avaient été entraînés malgré eux par une poignée de leaders militaires brutaux. Le dirigeant allait, par un discours de vérité, forcer le Japon à se regarder dans le miroir. Mais le président américain a déjà annoncé qu’il ne prononcerait pas à Hiroshima les excuses symboliques qui auraient pu contraindre les élites nippones à entamer une introspection sur leur vision biaisée de l’histoire. Le responsable devrait essentiellement se concentrer sur un discours plaidant pour un monde sans armes nucléaires, au grand soulagement du Premier ministre nippon, Shinzo Abe, qui estime que son pays a, de toute façon, suffisamment demandé pardon et fait acte de contrition.
Il est vrai que plusieurs responsables politiques japonais ont, au fil des décennies, formulé des excuses fortes pour les exactions commises par l’armée impériale avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais autant de dirigeants ont fait douter, ces dernières années, de la sincérité de ces regrets. Plusieurs membres de l’actuel gouvernement ont eux aussi flirté avec un révisionnisme malsain. Des ministres proches de la droite nationaliste continuent aussi de se rendre plusieurs fois par an au sanctuaire shinto de Yasukuni, à Tokyo, considéré à Pékin et Séoul comme le symbole odieux du passé militariste du Japon. Ils y honorent les 2,5 millions de morts pour le Japon dans les derniers grands conflits, mais aussi 14 criminels de guerre condamnés pour leurs exactions dans la région lors de la Seconde Guerre mondiale. Et l’exécutif n’émet jamais de communiqué clarifiant sa position sur ces visites controversées.
Amnésie et victimisation
S’ils craignent que la venue du président américain à Hiroshima n’incite le Japon à se cloîtrer dans cette amnésie et cette victimisation, les partisans d’un réexamen du passé nippon veulent encore croire que la seule présence de Barack Obama alimentera un débat sur la capacité de Tokyo à entamer une démarche similaire auprès de ses grands voisins asiatiques et de son allié américain. Déjà, mercredi soir, des médias ont embarrassé Shinzo Abe en le questionnant publiquement sur son éventuelle visite du site américain de Pearl Harbor, à Hawaii. Le 7 décembre 1941, cette base américaine fut attaquée par surprise par l’aéronavale japonaise et 2.403 Américains furent tués au cours du raid, qui reste vécu comme un traumatisme aux Etats-Unis.
Les médias sud-coréens et chinois vont, eux, défier le Premier ministre japonais d’oser venir dans leur pays déposer des fleurs sur des monuments témoins de l’oppression nippone d’autrefois. A quand une visite de Shinzo Abe à Nankin, demanderont-ils. Jamais, répondra le gouvernement conservateur. En déstabilisant Pékin, qui nourrit sa propagande des trous de mémoire de Tokyo, un tel geste symbolique témoignerait pourtant d’une maturité du Japon plus marquée et lui donnerait une aura nouvelle dans l’ensemble de l’Asie-Pacifique.
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