The US Pays Its Final Respects to Muhammad Ali

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Aux Etats-Unis, le dernier hommage à Mohamed Ali

Après trois jours de célébrations, l’Amérique a fait ses adieux à l’un de ses plus grands héros. Un champion de boxe qui incarne aujourd’hui les idéaux d’un pays multiculturel et multiconfessionnel

L’Amérique a rendu un dernier hommage à Mohamed Ali, l’un de ses plus grands héros. Une procession funèbre de 30 kilomètres a été suivie par des milliers de personnes scandant «Ali, Ali» à travers sa ville natale de Louisville. Une cérémonie ponctuée par des oraisons funèbres prononcées par l’ex-président Bill Clinton et la fille de Malcom X Attalah Shabazz, a mis en relief l’icône planétaire qu’est devenu Mohamed Ali.

Il a été inhumé dans l’intimité dans le cimetière de Cave Hill. Depuis son décès vendredi dernier à l’âge de 74 ans après s’être battu contre la maladie de Parkinson, le pays n’a d’yeux que pour cet homme né dans le Kentucky au coeur de l’époque des lois de ségrégation raciale Jim Crow.

Visage d’une Amérique multiculturelle

Sur un ring de boxe, celui qui deviendra champion olympique en 1960 dansait au rythme de sa détermination, volait comme un papillon et piquait comme l’abeille. Il représente aujourd’hui le visage presque idéal d’une Amérique multiculturelle, multiconfessionnelle et tolérante. Sa disparition, qui a ému le pays entier, fait toutefois office de piqûre de rappel. Depuis la mort de plusieurs jeunes Noirs tués lors de bavures policières, les Etats-Unis découvrent avec effroi la persistance d’un racisme institutionnel qui continue de saper les relations entre policiers et Afro-Américains.

Les propos incendiaires et racistes du candidat républicain à la Maison-Blanche Donald Trump à propos des musulmans qu’il veut interdire d’entrée aux Etats-Unis et d’un juge fédéral américain qu’il juge incapable d’occuper sa fonction parce qu’il est «Mexicain» (de parents immigrés mexicains) contrastent avec les valeurs universelles que Mohamed Ali a portées à travers le monde. Celle d’un islam tolérant et pacifique, pleinement compatible avec la démocratie.

«L’islam, c’est la paix»

Pour les musulmans américains qui, au lendemain du 11 septembre 2001, avaient subi le contre-coup des attaques perpétrées par des islamistes radicaux, Mohamed Ali fut sans le vouloir l’un des meilleurs ambassadeurs de l’Amérique pour combattre une islamophobie rampante. Il avait d’emblée véhiculé un message univoque: «L’islam n’est pas une religion qui tue. L’islam, c’est la paix.»

Grâce à Mohamed Ali, être un musulman, c’est devenu une chose cool.

Il fut celui qui donna une nouvelle image de l’islam outre-Atlantique. Quand il abandonna son «nom d’esclave» Cassius Clay pour Mohamed Ali en 1964 et adhéra à la Nation de l’islam, un groupe d’Afro-Américains se battant pour l’égalité des droits de façon plus radicale que le mouvement des droits civiques, l’Amérique blanche a eu du mal à l’accepter. Avec le temps, le champion troquera une certaine radicalité pour un discours plus inclusif. La presse d’outre-Atlantique l’humiliera néanmoins pendant des années en continuant de l’appeler Cassius Clay. En 2016, nombre de jeunes musulmans américains disent s’identifier encore au champion: «Grâce à Mohamed Ali, être un musulman, c’est devenu une chose cool.»

«Je suis l’Amérique»

Si Mohamed Ali est autant vénéré outre-Atlantique, c’est parce qu’il incarne aussi cette Amérique qui a confiance en elle. Dans une pièce jouxtant le Bureau ovale, le président Barack Obama a conservé précieusement les gants de boxe de la star sous un poster du boxeur en train de rugir après avoir mis au tapis son adversaire Sonny Liston. Difficile de ne pas voir dans le mouvement Black Lives Matter une version contemporaine de l’affirmation afro-américaine dont Mohamed Ali avait fait une marque de fabrique. Dans les années 1960, il déclarait: «Je suis l’Amérique. Je suis une partie d’elle que vous ne reconnaîtrez pas. Mais habituez-vous à moi, noir, confiant, arrogant, à mon nom […], pas le vôtre, à ma religion, pas la vôtre.»

Dans un pays où les Noirs étaient des citoyens de seconde zone, c’était une audace inouïe. Elle rappelle celle d’autres sportifs noirs comme Jesse Owens qui avait défié la rhétorique aryenne lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936 ou celle de Jackie Robinson qui abattit les barrières raciales dans l’un des sports nationaux les plus prisés d’Amérique, le baseball. Dans cette même veine, le jeune champion de boxe avait fait construire un complexe pour s’entraîner au coeur d’un petit village de Pennsylvanie, Deer Lake, où l’écrasante majorité des habitants étaient Blancs. Il y vécut de 1972 à 1980. S’il n’y avait pas que des amis, il a su séduire en s’impliquant dans la communauté. Il n’hésitait pas à faire de la magie avec les enfants du coin, subjugués, et à leur montrer des matches de boxe en 16 millimètres.

Mohamed Ali laisse enfin un message qui résonne fortement dans une Amérique lassée par des années de guerre en Irak et en Afghanistan. Son opposition radicale à la guerre du Vietnam au détriment de sa carrière séduirait aujourd’hui tous ceux qui, comme le candidat présidentiel Bernie Sanders ou le sénateur libertarien Rand Paul, plaident pour un désengagement des troupes américaines des théâtres de conflits à travers le monde. A résumer en une phrase, le champion est un concentré des idéaux de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui. «Un homme, souligne Barack Obama, qui s’est battu sur le ring et pour ce qui était juste. Un homme qui s’est battu pour nous.»

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