Conflagration au Canada, inondation en Europe, guerre civile au Proche-Orient, exode en Méditerranée, même les esprits les moins religieux verront sur la planète d’inquiétants signes d’apocalypse. Pourtant, à lire de récentes prophéties médiatiques, la fin du monde viendra, le cas échéant, non pas d’un cauchemar comparable mais, quelle horreur, d’un pays de rêve, l’Amérique. N’entendez-vous pas venir ce chevalier à la fureur toute biblique ? Il approche de Washington, on l’appelle Donald Trump.
D’abord, d’un tel multimilliardaire, bouffon iconoclaste jailli d’une presse grossière et d’un télé-show à succès, des observateurs prédirent qu’il ne surpasserait jamais les autres aspirants, même lamentables, d’un parti qui n’en manque pas. Puis, son étonnante percée chez les républicains fut tenue pour une bonne nouvelle chez les démocrates : Hillary Clinton remporterait plus facilement la Maison-Blanche. Mais finalement, d’un peu partout, force fut de craindre le pire.
Pourtant, sans expérience politique, Donald Trump n’aurait pas entrepris l’aventure si des sondages n’avaient confirmé, des mois avant la course, qu’au moins le tiers des Américains ne faisaient plus confiance au gouvernement. Un Conrad Black prédit tôt son succès dans le National Post. Récession, chômage, guerres coûteuses, désastres humanitaires, échecs humiliants à l’étranger, immigration incontrôlée, n’était-ce pas là le fait d’un gouvernement inapte qu’aucun des partis n’est capable de redresser.
Certes, aucune société en désarroi ne manque de démagogue prêt à exploiter la peine ou la peur d’une population. Faute de candidats crédibles, l’électorat risque alors de porter au pouvoir un sauveur psychopathe ou mégalomane. Hitler et Mussolini en restent des exemples historiques. Mais les Américains traversent une crise qui ne leur est pas propre. L’Europe voit revenir des démons sectaires qu’on croyait disparus depuis la Deuxième Guerre. Même des démocrates y jouent la carte dangereuse du populisme.
Toutefois, les États-Unis ont encore sur la planète des intérêts économiques, des forces militaires, des alliances politiques qu’on ne saurait secouer sans courir le risque de plus grands désordres. Même le président Barack Obama n’a pu réparer les dommages causés par les guerres de ses prédécesseurs. Un futur président ignare en politique étrangère, dépendant de conseillers imprévisibles, ne pourra faire mieux. Trump ferait sans doute pire encore, surtout au Proche-Orient et en mer de Chine.
Par contre, Donald Trump se donne comme un expert en affaires intérieures. Le Mexique n’a qu’à bien se tenir. S’il ne garde pas ses gens chez lui, on va les expulser sans plus de procès. Au besoin, on érigera un mur, qu’on fera payer par Mexico. Finie aussi la venue de réfugiés qui ne sont pas de foi chrétienne, ou qui sentent l’extrémisme. Ces fauteurs de troubles et autres suspects, qu’on les soumette à la torture ! Et ces millions d’Américains qui possèdent des armes ? Pas de problème.
Bien sûr, Trump n’a pas le monopole de cette doctrine. Mais il possède un talent incontestable pour l’exprimer, la défendre contre vents et marées, détenir des solutions même aux problèmes qui n’en sont pas. Encore fallait-il que des médias, touchés eux aussi par la crise économique, fassent de lui une vedette payante. NBC le fit connaître avec son « reality show » The Apprentice(You’re fired !). Et CNN lui permettra de triompher, appuis d’électeurs et records d’auditoire du même coup.
Ironie du sort, Trump n’a rien reçu des super-fondations qui font la pluie et le beau temps dans les campagnes aux États-Unis. Il ne fut pas invité non plus au sommet des Frères Koch tenu en 2015 en Californie (où près d’un demi-milliard fut accordé aux aspirants présidentiels). « I wish good luck to all the Republican candidates that travelled to California to beg for money, etc. from the Koch Brothers. Puppets ? » est-il cité dans Dark Money : The Hidden History of the Billionaires Behind the Rise of the Radical Right.
À ce jour, le Canada et les Canadiens ont échappé aux foudres du candidat, le seul à vouloir redonner sa puissance à l’Oncle Sam et leur pays aux Américains qui en sont dépossédés. Mais qu’en sera-t-il si jamais, devenu président, il découvre qu’une firme du Wisconsin déménage en Ontario, se demandait Jeffrey Simpson, un columnist du Globe and Mail versé dans les affaires américaines. Même défait en novembre prochain, Donald Trump laissera, en effet, un héritage dangereux pour les Américains et pour leurs voisins.
Dans une nation où le vrai pouvoir est détenu par les riches et par les grandes entreprises, l’Américain moyen, surtout s’il se sent floué par le gouvernement, aura appris qu’il peut exprimer sa colère aux urnes. Avec Obama, citoyens noirs et pauvres avaient compris que voter peut changer les choses. Le mouvement déclenché par Trump amènera d’autres candidats à reprendre ses attaques ethno-religieuses et ses griefs contre les pays alliés qui ne paient pas leur pleine part de la défense commune.
Entre-temps, si la fin du monde épargne le Canada, les gouvernements d’ici seraient bien avisés d’avoir à l’oeil certains enjeux nationaux. Des trains continuent en effet de dérailler au pays. Les vieux cartels lorgnent ces milliards qu’Ottawa a promis pour les infrastructures. Des détenus en isolement n’ont peut-être pas encore recouvré leurs droits. Les victimes d’agressions sexuelles dans les forces armées, la Gendarmerie royale (GRC) et d’autres institutions publiques ont-elles toutes obtenu justice et réparation ?
Donald Trump n’est pas encore un danger pour ses voisins du nord. Mais pour combien de temps?
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