Il y a bientôt deux ans mourait, le 9 août 2014, l’adolescent noir Michael Brown sous les balles de la police à Ferguson, en banlieue de Saint Louis. Près de deux ans plus tard, en ce jeudi soir du 7 juillet, une manifestation antiraciste a lieu à Dallas pendant laquelle cinq policiers sont tués en plein centre-ville par un tireur en embuscade. La mémoire collective récente veut retenir des événements de Ferguson qu’ils ont contribué à réveiller la conscience nationale. Peut-être. Pour autant, ce certain réveil est encore loin d’avoir déconstruit le racisme institutionnel et systémique.
La réalité a une fois de plus refusé de se laisser oublier, écrivait l’écrivain américain Thomas Chatterton Williams dans la foulée du massacre commis en juin 2015 par un jeune néonazi dans une emblématique église méthodiste de Charleston, en Caroline du Sud. Neuf personnes avaient perdu la vie. Aussi, la réalité a une fois de plus refusé de se laisser oublier cette semaine avec la mort, aux mains de policiers, d’Alton Sterling à Bâton Rouge, en Louisiane, et de Philando Castile, en banlieue de Saint Paul, au Minnesota.
Est-il délicat de faire un rapprochement entre le geste abominable posé par un néonazi et la commission de bavures policières contre des Noirs ? Certes. N’empêche que l’esprit dit dérangé de l’homme qui a déchargé plusieurs fois son arme dans l’église de Charleston est l’expression — extrême — d’une société blanche qui peine à défaire ses sentiments et ses constructions racistes.
Le meurtre des cinq policiers à Dallas vient ajouter une couche de violence et de volatilité aux tensions raciales qui tourmentent la société américaine. Entre violence raciale et violence tout court, il n’est pas tout à fait exagéré de dire que ce qui s’est passé jeudi à Dallas — à quelques coins de rue de là où JFK a été assassiné en 1963 — recoupe une forme de guerre civile ancienne et latente. Si la mort de Michael Brown et les manifestations qu’elle a déclenchées il y a deux ans ont contribué à une certaine prise de conscience collective, le fait est que l’abus et le harcèlement policiers sont depuis toujours le lot quotidien et arbitraire de la minorité noire. Et que ces abus sont commis dans un large climat d’impunité. Être citoyen noir aux États-Unis, c’est apparemment risquer à tout moment de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Débarquant de San Francisco, le nouveau chef de la police de Baltimore avait fait grincer des dents l’année dernière en déclarant qu’il avait été étonné par « le racisme des années 1950 » qui prévalait dans le service quand il est entré en fonction en 2012.
Une grande partie de l’Amérique blanche choisit toujours de vivre dans l’illusion que les lois antiségrégationnistes adoptées dans les années 1960 ont fait disparaître la discrimination culturelle et systémique à l’égard de la minorité noire — en santé, en éducation, en emploi… L’élection de Barack Obama à la présidence américaine a grossi pour certains le mensonge voulant que les États-Unis forment dorénavant une société postraciale. Il y a pourtant lieu de penser que l’on assiste au contraire, sous une forme d’apartheid évidemment moins grossière, à une reségrégation du tissu social et urbain du pays, sur fond de creusement des inégalités économiques consécutivement à la mondialisation des marchés et aux retombées de la Grande Récession.
Pullulent au demeurant les études qui ont documenté le préjugé raciste de la justice et des corps policiers à l’égard des Noirs. Une troublante statistique abondamment citée dans l’après-Ferguson indiquait qu’un jeune Noir courait 21 fois plus de risques d’être abattu par la police qu’un jeune homme blanc.
Il se trouve jusqu’à maintenant que le long chapelet de bavures policières commises ces dernières années n’a pas entraîné de changement substantiel dans le comportement des autorités, et ce, malgré l’utilisation de plus en plus répandue de caméras corporelles par les policiers et la médiatisation croissante des abus sur toutes les plateformes imaginables. Une analyse du Washington Post indique que, toutes origines raciales confondues, le nombre de personnes tuées par balles par des policiers aux États-Unis est en hausse de 6 % depuis le début de l’année par rapport à 2015. Statistique fraîche et sujet ensanglanté d’une vidéo vite devenue virale, Philando Castile est ainsi devenu le 123e Noir à tomber sous les balles d’un policier depuis le début de l’année aux États-Unis.
Les consciences sont faciles à déranger ; les comportements et les réflexes culturels, plus difficiles à changer.
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