Public Enemy Number One

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Avec l’intronisation de Donald Trump, le Parti républicain continue de creuser sa tombe. Non pas qu’il soit absolument exclu que M. Trump soit ultimement élu président, vu les particularités de la carte électorale et l’état d’esprit affolé dans lequel se trouvent les Américains. À Hillary Clinton, maintenant, de ne pas gâcher l’extraordinaire apport politique de gauche amené au Parti démocrate par Bernie Sanders.

Sur le ton incendiaire qui est le sien, le magnat de l’immobilier Donald Trump, sacré candidat du Parti républicain à la présidence, s’est engagé à Cleveland à être la « voix » du peuple, de « ceux qui travaillent dur alors que plus personne ne parle en leur nom ». Ce qu’une bonne partie du « peuple » ne demande apparemment qu’à croire. M. Trump tient depuis son entrée dans la course présidentielle un discours d’une vacuité populiste abyssale, qui lui a valu pendant les primaires le vote de millions d’électeurs américains. Il aurait malgré tout pu vouloir à Cleveland rompre avec sa caricature, ou à tout le moins lui donner un peu plus de substance, mais c’est manifestement une caricature qui le contient tout entier et qui, jusqu’à maintenant, lui a été formidablement utile.

La vie politique américaine a-t-elle jamais accouché d’un candidat moins « présidentiable » ? Qu’il suffise de relever l’ineptie générale des propos qu’il a tenus jeudi soir et la superficialité de vue qui lui fait dire sans broncher, sur fond de représentation dystopique et déformée de la réalité, qu’il saurait dans les secondes suivant son arrivée à la Maison-Blanche régler tous les problèmes imaginables en rétablissant « la loi et l’ordre » partout aux États-Unis, sinon partout dans le monde.

Entendu que Trump-le-Conquérant est le résultat de l’évolution de la vie démocratique américaine et, plus particulièrement, de la déroute et des divisions du Grand Old Party (GOP). Entendu qu’il est l’incarnation d’une colère et d’un malaise sociaux parfaitement légitimes à l’égard d’élites déconnectées. Mais incarnation ô combien terrorisante. Il est proprement effarant que tant d’électeurs soient prêts à le suivre, y compris même parmi les militants démocrates qui ont appuyé le « socialiste » Bernie Sanders. Il ne l’est pas moins que la principale dissidence publique à la candidature de M. Trump ait été le fait pendant la convention républicaine d’un ultraconservateur bon teint : Ted Cruz, sénateur du Texas.

Justement, les républicains creusent leur tombe parce qu’ils naviguent depuis des années à contresens de l’évolution sociale et démographique des États-Unis, faisant toujours plus exclusivement le plein de votes auprès de la frange des électeurs blancs et conservateurs. En fait, depuis 1992, le GOP n’a obtenu qu’une seule fois, en 2004, la majorité du vote populaire (George W. Bush ne l’avait emporté en 2000 qu’en nombre de grands électeurs, suivant l’imbroglio floridien).

C’est ainsi que le « néorépublicain » Trump, plus libéral que ne l’est le parti sur des questions comme l’homosexualité et l’avortement, s’est finalement résigné à l’idée de s’adjoindre comme colistier le gouverneur de l’Indiana, Mike Pence, autre conservateur pur et dur, dans l’espoir de rallier les électeurs de droite, nommément les évangélistes. Résultat net de ce mariage de raison : les républicains se trouveront à défendre d’ici le scrutin du 8 novembre une plateforme électorale particulièrement extrémiste, jouxtant les positions isolationnistes, anti-immigrantes et antimusulmanes de Trump aux positions rétrogrades du parti en matières sociale et environnementale.

En l’occurrence, le seul vrai ciment pour les républicains, et la convention de Cleveland l’a bien montré, consiste à tenter de faire l’unité du parti autour de l’aversion qu’inspire la démocrate Hillary Clinton. Alors que s’ouvre lundi la convention d’investiture démocrate à Philadelphie, le défi sera pour elle, candidate de l’establishment, de faire très attention de ne pas négliger l’extraordinaire réservoir d’appuis que la candidature de Bernie Sanders a créé à gauche. Il en va de l’avenir du Parti démocrate, pour ne pas dire du progrès de la démocratie américaine. L’heure n’est plus aux traditionnelles compromissions centristes. Dans l’ordre électoral actuel des choses, M. Trump est l’ennemi public numéro un. Son élection serait une catastrophe.

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