Trump : dure leçon
L’effroi. Il n’y a pas d’autre mot pour désigner le sentiment qui étreint les progressistes du monde entier devant le séisme politique qui frappe la plus puissante démocratie du monde. Ainsi, un candidat brutal aux positions insensées, sexistes, racistes, autoritaires, qui prêche un nationalisme de fer, qui insulte ses adversaires, méprise les femmes, qui désigne les minorités comme boucs émissaires des difficultés du pays, qui veut enfermer l’Amérique dans ses frontières et fait exploser les digues de la décence et de la raison, gagne une élection qu’il a abordée en parfait marginal de la politique.
C’est tout un pan de la mémoire américaine qui est nié aujourd’hui, celle de Roosevelt, de Kennedy, de Martin Luther King et d’Obama, celle d’un pays d’immigration, d’ouverture, de droits civiques et de tolérance. La mémoire des Clinton, aussi, quand les deux mandats de Bill ont laissé le souvenir d’une sorte d’âge d’or, mais une mémoire trop liée à l’establishment de la côte Est.
Il faut remonter loin dans l’histoire du pays pour retrouver de vagues précédents, chez les candidats racistes du sud profond, chez Charles Lindbergh et ses campagnes réactionnaires dans les années 30 ou bien dans la sinistre saga de Joseph Mac Carthy. On citera Ronald Reagan, qui avait lui aussi sonné le glas des démocrates. Mais c’était une révolution conservatrice – libérale au sens français du terme – qui n’avait pas remis en cause les traditions américaines d’immigration et d’ouverture sur le monde. L’élection de Trump sonne le départ d’une tout autre histoire.
C’est une révolution blanche, d’abord. La victoire de Trump est le résultat de la mobilisation massive et en partie invisible de l’Amérique des blancs contre la peur du déclassement, contre les minorités, l’immigration, le métissage culturel et la poussée égalitaire des Noirs et des Latinos, même si le score de Trump fait soupçonner qu’il a pu recruter des partisans, pour une petite partie, parmi les immigrés de fraîche date, fascinés par le mythe américain de la réussite individuelle.
C’est une révolution des classes moyennes, ensuite. La politique reaganienne qui devait profiter, par le ruissellement des richesses de haut en bas de la société, à tous les Américains, a réservé ses avantages aux plus riches. Les salariés de l’industrie, les commerçants des petites villes, les employés des grandes firmes ou les agriculteurs endettés des zones rurales ont vu leur pouvoir d’achat stagner pendant trente ans et leur situation menacée par la précarité d’un système de concurrence et d’ouverture implacable pour les plus fragiles. Au lieu d’en imputer la responsabilité à un système de marché sans frein, cette Amérique-là, dans un réflexe classique en temps de crise, a accusé le vent du large.
C’est une révolution contre les élites, celles de la richesse, de la finance, mais aussi celles de la culture, de la politique et des médias, dont la culture d’ouverture, de mélange, d’arrogance aussi et d’hédonisme fondé sur l’aisance financière, a fini par révulser «l’Amérique qui se lève tôt». «Main Street» s’est révoltée contre «Wall Street», mais aussi contre Hollywood, la Silicon Valley et l’irénisme californien. On parlera encore de «populisme», terme désastreux qui exclut la masse de l’électorat d’une formule avant tout méprisante. Pendant la campagne, un électeur de Trump avait répondu de manière lapidaire à cette accusation : «Le populisme, c’est très bien. Cela veut dire qu’on s’occupe du peuple et non des élites.»
C’est une révolution nationaliste, enfin. Une certaine pensée de gauche tendra à sous-estimer ce facteur, pourtant décisif, au profit de considération sociales et économiques. Or la vague qui balaie les Etats-Unis a d’abord frappé l’Europe, à travers le Brexit en Grande-Bretagne, Viktor Orbán en Hongrie, Pegida en Allemagne, Geert Wilders aux Pays-Bas, la Ligue du Nord en Italie, les xénophobes scandinaves, et le Front national, dont le spectre va maintenant dominer, comme une menace encore diffuse, mais bien présente, la campagne électorale française. Partout la réaction identitaire contre la mondialisation, contre l’immigration, contre l’ouverture des frontières et de la culture, produit les mêmes effets, favorise les partis «hors système» et alimente la démagogie de ceux qui veulent fermer les frontières.
La leçon est dure pour les progressistes. Ils n’ont pas su trouver les solutions sociales et économiques propres à rassurer les classes moyennes et populaires. Ils n’ont pas su répondre à cette révolte identitaire qui ramène les démocraties aux temps obscurs du nationalisme triomphant. Le libéralisme sans règles déboussole la société. Mais les projets de la gauche ne pallient pas cette angoisse qui alimente la révolution nationaliste. L’examen de conscience commence. Il devra être rapide et efficace : l’exemple américain a fait tomber de nouvelles barrières. Le temps presse…
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