Trump and Indigenous People

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« Il faudra d’abord me passer sur le corps. » Verlon Jose, vice-président du gouvernement de la nation Tohono O’odham, est catégorique : si Donald Trump veut prolonger le mur le long de la frontière avec le Mexique, les autochtones de cette réserve de l’Arizona, eux, n’en veulent pas. Mais il est peu probable que ces derniers aient l’oreille du futur président, qui s’est illustré au cours des années 1990 par sa féroce guerre commerciale contre les casinos autochtones parce qu’ils faisaient de l’ombre à son empire, mettant en doute l’autochtonie même des Amérindiens Mashantucket Pequots devant un comité du Congrès en 1993 ou encore raillant les ancêtres d’Élizabeth Warren qu’il a appelée Pocahontas en juillet 2016.

Pour autant, Verlon Jose, qui a également été le représentant du district frontalier de Chukut Kuk en Arizona, martèle son opposition de manière véhémente. Autour de lui, certains le trouvent téméraire, chuchotant que, dans un État où les armes peuvent être portées de manière visible et où les milices frontalières sont particulièrement actives, c’est un propos qui pourrait être pris dans son sens littéral. Il reste que les 33 000 membres de la réserve qui ont voté massivement pour la candidate démocrate craignent que les 120 kilomètres de frontière qui les séparent des terres sacrées et de la communauté restée au Mexique ne finissent par être totalement murés. Ils ne cessent de le répéter, cette frontière en est une pour les Blancs, mais ce n’est pas la leur et son franchissement est un droit de la nation Tohono O’Odham.

D’autant que cette zone désertique, écologiquement fragile, est déjà surveillée par un maillage de caméras d’Elbit Systems en mesure de détecter un adulte à 12 kilomètres de distance, de jour comme de nuit. Une infrastructure plus substantielle (comme un mur) ne ferait que déplacer les flux illégaux sans véritablement les altérer : drones, rampes d’accès, tunnels sophistiqués, les trafiquants innovent au fur et à mesure que la frontière se durcit et, pour l’instant, la promesse d’un autre mur ne fait qu’intensifier les flux de migrants qui tentent de passer avant qu’il ne soit trop tard.

Mais le président Trump veut montrer qu’il va agir. À tout prix. Qu’importe si le coût de cette infrastructure pharaonique peut aller de 1,5 à 8 millions de dollars le kilomètre, qu’importe si son allié, le shérif Joe Arpaio du comté de Maricopa — véritable tortionnaire condamné en justice pour sa chasse aux migrants et ses méthodes de détention —, a été désavoué par son électorat le 8 novembre dernier. Qu’importe si la souveraineté de la nation Tohono O’Odham est mise à mal. Car le nouveau président n’a guère de considération pour les autochtones : en atteste la campagne qu’il a financée en 2000, à hauteur d’un million de dollars, assimilant les Mohawks des Catskill Moutains de l’État de New York au trafic de drogue et à la violence.

Dans le Dakota

C’est dans cette perspective que les manifestants de Standing Rock vont devoir s’inscrire. En effet, depuis le mois d’avril dernier, les Sioux de Standing Rock dénoncent l’absence de consultation, la destruction de lieux archéologiques, sacrés, et le risque de contamination de la rivière Missouri en raison de la construction du Dakota Access Pipeline — un projet de 5 milliards de dollars visant à transporter 470 000 barils de pétrole brut par jour des champs pétrolifères du Dakota du Nord vers l’Illinois.

Sur ce territoire, négocié par le traité de Fort Laramie en 1868, les Sioux ont acquis (à défaut d’une pleine souveraineté), depuis 1992, le droit d’être consultés. Mais il aura fallu toute la pression des manifestants pour que le corps d’ingénieurs de l’armée mette temporairement sous le boisseau la construction de la portion qui passe sous la rivière Missouri, d’autant qu’un juge devait se prononcer sur une injonction.

Mais la compagnie a choisi de ne pas attendre et a poursuivi la construction. La disproportion de la répression partiellement sous-traitée à des contractants de sécurité privée (dont les chiens d’attaque ont fait les manchettes) dénoncés par la journaliste Amy Goodman de Democracy Now ! (accusée alors de participation à des émeutes, ce qui a été rejeté par le juge) et pour partie mise en place par le shérif du comté de Morton, dont la police militarisée est équipée d’équipements lourds (tanks, tasers), n’a fait que s’amplifier.

La tendance pourrait se maintenir puisque le président désigné, qui entrera en fonction le 20 janvier prochain, a très clairement signifié son appui aux énergies fossiles et qu’il détient des actions de la compagnie qui construit le pipeline dont le p.-d.g. a lui-même donné plus de 100 000 $ à sa campagne présidentielle.

Alors que le gouvernement Obama est entré dans une course contre la montre pour sauvegarder les terres publiques avant le 20 janvier en interdisant l’exploitation aurifère sur un large territoire près du parc de Yellowstone et le forage dans l’océan Arctique au large de l’Alaska, en annulant des permis miniers et d’exploitation pétrolifère et gazière au Montana et au Colorado, il affirme prudemment vouloir laisser le processus suivre son cours dans les prochaines semaines. Mais Standing Rock est devenu un cri de ralliement pour les autochtones et les environnementalistes : le nouveau gouvernement vient peut-être, avant même d’entrer en fonction, de « frapper son premier mur ».

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