Nous sommes quelques-uns à avoir cru fermement et écrit, il y a de cela une vingtaine d’années, que le dieu dollar était déchu et qu’il ne pouvait désormais que chuter au point de perdre son rôle de monnaie dominante. Nous pensions alors dur comme fer que l’importance des «balances dollar» – comme depuis Jacques Rueff et même bien avant (en 1949 déjà, dans des études de la Réserve fédérale) on appelait les montants prodigieux de dollars détenus par les pays créanciers des Etats-Unis – nous pensions donc que cette masse énorme de dollars résultant des déficits extérieurs accumulés par la première puissance économique du monde finirait inévitablement par détruire le peu de confiance encore placée dans une monnaie longtemps considérée comme «aussi bonne que l’or».
Ce billet vert qui, au lendemain des accords du Plaza (septembre 1985) destinés à en enrayer la trop forte appréciation, avait entamé une vertigineuse descente allait en effet perdre en dix ans près de la moitié de sa valeur: l’indice de son taux de change pondéré vis-à-vis des monnaies des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis (de base mars 1973 = 100) devait revenir de 144 points en février 1985 à 82 points en mars 1995!
On avait par conséquent tout lieu de penser que son sort était scellé, de la même manière que la livre sterling avait été détrônée de son rang de première monnaie internationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Et de fait, le dollar, après une courte rémission entre 1995 et 2001, poursuivit sa descente aux enfers, son indice pondéré tombant à un plus bas de 71 points au déclenchement de la crise financière en novembre 2007.
Mais c’était compter sans les bouleversements subis par l’économie mondiale au cours des décennies suivantes et dont la résultante, sur le plan monétaire en tout cas, s’est avérée une véritable renaissance de la domination du dollar. Non seulement la part de ce dernier, dans les échanges commerciaux et financiers mondiaux, s’est accrue au lieu de se réduire, mais encore sa valeur, nonobstant un endettement extérieur persistant, a entamé une remontée spectaculaire: à la fin du mois dernier, l’indice de son taux de change pondéré avait retrouvé, avec 95 points, son niveau de 1987.
Ces changements majeurs que l’on n’avait pas vus venir sont, pour les principaux d’entre eux, désormais évidents: l’affaiblissement des zones monétaires concurrentes ou réputées le devenir (la zone euro, le yen, voire le renminbi), la résistance inégalée de l’économie américaine aux effets de la crise, alors que les autres économies, y compris et peut-être surtout les économies émergentes dans lesquelles on imaginait se dessiner une possible alternative conjoncturelle, ne s’en sont pas encore relevées, ou si peu. Enfin et paradoxalement, la montée des dettes en dollars contractées par une multitude d’Etats et d’entreprises multinationales étrangères, qui ont fait grimper la demande de la devise américaine.
La prééminence de la sphère financière sur l’importance naguère primordiale des flux commerciaux, en quoi tout cela se résume, a renvoyé aux oubliettes les craintes entretenues par la nature quasi structurelle des déficits américains. Elle en a même rétabli le rôle pivot dans le fonctionnement de l’économie mondiale.
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