Trump, a Time Bomb

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Trump, une bombe à retardement

Vendredi, c’est véritablement une bombe à retardement, dotée d’une tête, de deux bras et de deux jambes, qui va s’installer à la Maison-Blanche.

« Une bombe sur deux pattes » : voilà une façon peu respectueuse de commencer un article sur le nouveau président des États-Unis. Mais jamais n’aura-t-on vu un tel niveau d’incertitude — et d’effarement incrédule — accompagner une passation de pouvoirs aux États-Unis. Cet homme a eu beau obtenir 46 % des suffrages des Américains le 8 novembre, il fait peur à presque tous les autres… aux États-Unis ou ailleurs.

Il y a huit ans, c’étaient certes aussi l’angoisse et l’incertitude, alors que l’économie mondiale frôlait l’abysse, dans la foulée du krach des prêts immobiliers. Mais en ce début 2009, l’angoisse se doublait d’une sorte d’euphorie et d’espoir après l’élection d’un candidat noir… dont la campagne messianique, il est vrai, avait fait croire aux miracles.

Aucun miracle dans la présidence Obama, dont on fera le juste bilan avec le recul nécessaire. Mais tout de même, dès janvier 2009, une volonté de prendre les problèmes à bras-le-corps, avec un programme de relance économique classique, une communication classique, avec un exceptionnel orateur qui écrivait lui-même ses discours, croyait au pouvoir de la réflexion, de la persuasion, de l’explication, et entendait (naïvement) trouver des compromis avec l’opposition.

L’homme parlait solidarité, progrès, droits et libertés, équilibre des pouvoirs, respect des minorités… d’une façon classique qui respectait les canons immémoriaux de la démocratie libérale.

L’ouragan Trump de 2016, c’est tout autre chose, sur la forme comme sur le fond. Cet homme semble décidé à traiter la politique comme si rien n’avait existé avant lui, et à renverser tous les codes en vigueur.

Le Donald Trump d’après le 8 novembre 2016 est identique à celui d’avant cette date fatidique. Ceux qui avaient espéré que l’homme « deviendrait présidentiel » à l’usage… en seront pour leurs frais.

Avant comme après le 8 novembre, c’est le même dédain de la discussion, la même façon quasi autiste de tout ramener à sa munificente personne, la même improvisation permanente, le même mépris — sans patience ni décorum — envers la critique. Le spectacle de sa conférence de presse du 11 janvier, lorsqu’il a refusé la parole à un organe de presse dont le travail lui déplaisait, était éloquent.

Même dans l’habit présidentiel, c’est le même doigt menaçant, c’est le même « Taisez-vous ! », c’est le même éléphant dans un magasin de porcelaine. D’où des questions légitimes : Donald Trump va-t-il tout casser, étant donné la radicalité de ses déclarations, de ses intentions, de son programme ?

Veut-il, peut-il abolir du jour au lendemain le fameux Obamacare (assurance maladie), pour lequel il annonce un remplacement aussi rapide que magique ? Peut-il ériger, de l’Atlantique au Pacifique, son fameux mur de séparation avec le Mexique ? Forcer l’expulsion massive et immédiate de millions de clandestins ? Déclarer la guerre commerciale à la Chine ? Annuler d’un trait de plume dix mille règlements ?

Chacune de ces mesures est grosse de conflits, de contradictions, d’impossibilités (… auxquelles il pourra toujours répondre par de nouvelles fuites en avant, en blâmant ses adversaires pour ce qui ne marche pas).

Au-delà de son programme et de ses gestes, M. Trump est aussi, en lui-même, une bombe à retardement, du fait de ses conflits d’intérêts, de ses improbables alliances, de ses dépendances cachées.

La filière russe — le piratage informatique, l’aide présumée du Kremlin à son élection, les possibilités de chantage à l’argent ou au sexe — pèse sur la présidence Trump… avant même qu’elle n’ait commencé. Jamais n’aura-t-on vu un chef d’État américain aussi vulnérable face à un partenaire des relations internationales.

M. Trump a beau avoir qualifié — avec une bonne partie de la presse, naturellement et nécessairement prudente — les « révélations » du site BuzzFeed de « bidon », rien de ce qui figure dans ce rapport d’un ex-espion respecté du MI6 britannique ne semble invraisemblable… lorsque qu’on regarde froidement le personnage, ses déclarations et actions passées, ses inclinations avouées, sa conception des affaires, de la société, des relations humaines.

Donald Trump, c’est une subversion totale de la politique telle qu’on la pratiquait en Occident jusqu’en 2015. En cela, il reflète parfaitement son époque et justifie toutes les inquiétudes ambiantes sur l’avenir de la démocratie.

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