La seconde mort de Bretton Woods
Que se passera-t-il le jour où les Etats-Unis atteindront l’objectif que se fixe Trump?
L’économiste belge Robert Triffin est resté dans les annales pour avoir prédit dès Bretton Woods en 1944 que le dollar ne pourrait rester éternellement convertible en or. Il avait fait observer qu’en voulant assurer la prédominance du billet vert tant dans le financement des échanges commerciaux que dans le rôle de monnaie de réserve, les Etats-Unis s’obligeaient à alimenter l’économie mondiale en dollars au rythme de sa croissance. Techniquement, augmenter la masse de billets verts en circulation hors pays dans le monde ne pouvait se faire qu’en exportant des devises en contrepartie d’un déficit structurel de sa balance commerciale.
C’est en 1971 que Richard Nixon a consacré la première mort de Bretton Woods: constatant que les réserves de Fort Knox se réduisaient comme peau de chagrin, il prononça l’inconvertibilité de la monnaie américaine. Depuis lors cette dernière ne repose plus que sur la confiance que chacun peut avoir dans le dynamisme de l’économie US. Son dynamisme et pas sa bonne santé puisque le déficit commercial s’est doublé, au fil du temps, d’un déficit budgétaire. On ne peut impunément être déficitaire sans que les recettes de l’État ne finissent par en pâtir. En matière monétaire la confiance peut tenir à peu de chose. Au XVIIIe siècle, la méfiance à l’égard du régime de Louis XV provoqua l’effondrement de la monnaie papier de John Law, alors qu’à peine quelques années plus tard, les assignats de Catherine de Russie lui ont permis d’assurer le redressement de son empire. Plus près de nous, depuis la crise de 2008, malgré une création monétaire plus qu’abondante destinée à lutter contre l’illiquidité des marchés, les monnaies ne se sont pas écroulées. La confiance dans la monnaie a chassé la méfiance à l’égard des intermédiaires financiers.
Stuggle for jobs
Jusqu’à aujourd’hui, malgré l’inconvertibilité, le double rôle, commercial et réserve, de la devise américaine lui a permis de durer: plus de 60% des pays représentant plus de 70% du PIB mondial utilisent le dollar comme monnaie de réserve et n’ont donc aucun intérêt à le voir plonger. C’est en particulier le cas de la Chine.
L’avènement de Donald Trump et la vision qu’il a de la mondialisation risquent pourtant bien de changer fondamentalement la donne. Nous ne sommes plus au temps de Bretton Woods: les Etats-Unis ne représentent plus que 18% du PIB mondial contre les 30% au sortir de la guerre 40. La Chine pointe également à 18% après avoir rattrapé l’Oncle Sam en quarante ans. De position dominante qu’ils occupaient, nos amis d’outre-Atlantique ont découvert les joies de la concurrence, en particulier au niveau de l’emploi.
La redistribution des richesses a joué en faveur des classes moyennes des pays émergents mais au détriment des classes laborieuses des pays occidentaux. L’économie mondiale est passée de la complémentarité à la concurrence, rendant tout accord multilatéral impossible. Le libre-échange qui a permis d’améliorer le sort de la majeure partie du monde a fini de bénéficier à tout le monde. Dorénavant le “struggle for jobs” domine la planète. Le Président des Etats-Unis a donc décidé de donner la priorité au rééquilibrage du commerce extérieur de son pays. En luttant pour la sauvegarde de leurs emplois, les Etats-Unis vont donc abandonner leur rôle de pourvoyeur de liquidités de l’économie mondiale au prix d’un mécanisme fiscal avantageant les exportateurs au détriment des importateurs.
Que se passera-t-il le jour où les Etats-Unis atteindront l’objectif que se fixe Trump? S’il y a moins de dollars en circulation pour alimenter une économie mondiale en croissance, d’autres monnaies se feront une joie de reprendre le flambeau, en particulier le yuan. Les pays dégageant un bonus commercial engrangeront moins de dollars et plus de yuan ou d’euros. Progressivement le dollar pourrait bien perdre sa double suprématie. La tendance au protectionnisme n’en sera que renforcée et un nouveau partage du monde autour de trois grandes zones commerciales et monétaires verra le jour. À moins que les monnaies nationales ne se fassent dribbler par une monnaie venue de nulle part comme le bitcoin? Tout se jouera sur la confiance, comme au temps de Louis XV et de Catherine de Russie, mais une chose apparaît de plus en plus clairement: en tranchant le dilemme de Robert Triffin, Donald Trump consacrera la seconde mort de Bretton Woods.
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