La grande diversion
Le témoignage de l’ancien directeur du FBI, jeudi 8 juin, devant la Commission sénatoriale sur le renseignement fut accablant pour le président Trump. Ce dernier ne pouvait pas s’attendre à voir la pression de « l’affaire russe » être atténuée. Il n’imaginait certainement pas que l’horizon de sa présidence en soit autant obscurci. Spectaculaire, cet épisode de la saga Trump n’est que marginal par rapport à d’autres actes potentiellement plus significatifs pour les États-Unis et la scène internationale qui se sont joués le même jour.
La Russie a déployé une stratégie sophistiquée d’ingérence dans la campagne électorale de 2016. Rien n’indique que l’équipe de Trump en ait été complice ni que cette stratégie se soit traduite en fraude électorale. Ce sont les deux seuls éléments du propos de James Comey devant les sénateurs qui peuvent rassurer Trump et ses soutiens. Pour le reste, son témoignage fut accablant. Outre qu’il dépeint un président menteur au comportement préoccupant et stupéfiant, les partisans d’une éventuelle procédure de destitution y trouveront des munitions.
L’écran de fumée Trump
Deux éléments peuvent en effet être constitutifs d’entrave à la justice : la demande d’abandonner l’enquête sur l’ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, formulée par Trump le 14 février 2017, et le limogeage de Comey le 9 mai 2017, motivé selon les propos mêmes de Trump par son insatisfaction quant à l’enquête menée par le FBI sur le rôle de la Russie et les liens de son entourage avec celle-ci.
Les cas Nixon et Clinton ont démontré que l’entrave à la justice entre dans la catégorie des « autres crimes ou délits majeurs », mentionnés mais non définis dans la Constitution, susceptibles d’ouvrir la porte à une procédure de destitution. La situation reste néanmoins différente de celle qui prévalait en 1974 ou en 1998. Dans les deux cas, les présidents Nixon et Clinton devaient alors composer avec une Chambre des représentants, compétente pour lancer la procédure de destitution, contrôlée par le parti adverse. Ce sont actuellement les alliés républicains de Trump qui disposent de la majorité à la Chambre.
Or, ceux-ci n’ont — pour le moment — aucun incitatif ni intérêt à se débarrasser de ce président. Malgré un taux d’impopularité record, Trump bénéficie encore d’un appui solide de la part de l’électorat républicain (bien que des signes d’effritement de sa base électorale — notamment chez les hommes blancs non diplômés — émergent). Cet élément est essentiel dans la perspective des élections de mi-mandat de 2018. Plus fondamentalement cependant, l’obsession pour Trump et « l’affaire russe » crée un écran de fumée opportun permettant aux républicains d’avancer leur programme législatif sans susciter une grande attention des médias ou de l’opinion publique.
Cela fut particulièrement à l’oeuvre le 8 juin. Alors que tous les regards étaient braqués sur le témoignage de Comey, la Chambre adoptait une loi, le Financial Choice Act, dont l’objectif est d’alléger les contraintes réglementaires imposées aux banques et aux compagnies d’assurances dans la foulée de la crise financière de 2008. Appuyée par Trump, elle devrait être vivement contestée lors de son examen au Sénat. Elle n’en traduit pas moins la détermination des républicains à supprimer des garde-fous érigés pour protéger les Américains les plus modestes. S’ajoutant au démantèlement d’Obamacare, à un projet de budget qui sabre les programmes sociaux et à une volonté de réforme du code des impôts favorisant les plus hauts revenus, cette loi devrait déclencher quelques alarmes, pas seulement aux États-Unis. Ce n’est pas le cas.
Le risque de conflit avec l’Iran
La crise de 2008 a démontré l’impact dévastateur de la dérégulation du secteur financier américain sur l’économie mondiale. Un autre sujet dont les répercussions internationales pourraient être sérieuses et qui est également passé sous le radar médiatique cette semaine : en Syrie, pour la troisième fois en autant de semaines, l’aviation américaine a frappé un convoi de miliciens chiites appuyés par l’Iran. Celui-ci était trop proche d’une base des forces américaines dans le sud-est du pays.
Alors que l’étau se resserre sur le groupe État islamique, la promiscuité entre les diverses parties engagées en Syrie comme en Irak est de plus en plus grande. Or, Trump s’est résolument engagé aux côtés de Riyad dans la lutte pour l’hégémonie régionale qui l’oppose à Téhéran. La multiplication d’accrochages entre forces américaines et groupes appuyés par l’Iran pourrait ainsi dégénérer en un conflit plus sérieux tant pour les États-Unis que pour leurs alliés et l’ensemble du Moyen-Orient.
Trump offre un spectacle divertissant. Son sort personnel n’est pourtant qu’une diversion qu’il conviendrait dorénavant de dépasser.
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