De Trump et de convulsions d’empires finissants
On ne le sait que trop : les affaires d’une puissance dominante deviennent les affaires du monde entier. S’imposant à tous, elle leur inflige ses troubles, sans les épargner de ses lubies. Il en est des États-Unis comme jadis de leurs devanciers européens. Mi-opéra bouffe, mi-jeu de massacre, un spectacle surréaliste se déploie depuis des mois aux États-Unis sous les yeux ébahis de tout un chacun. Les turbulences sont permanentes. Pas une semaine ne passe sans livraison d’un nouvel épisode au feuilleton. La téléréalité a du retard à rattraper.
Trump est-il le problème ? Si les défauts du personnage ont la taille de la Trump Tower, ses pratiques sont celles de son milieu. L’establishment se gausse de l’ours mal léché, de l’inculte au vocabulaire famélique. Trump contribue à abaisser le niveau intellectuel, mais n’est-il pas un pur produit de la twitterisation des esprits, formatés à gazouiller en onomatopées et interjections, inaptes à la pensée dépassant 140 signes ?
Les censeurs de Trump déplorent les libertés qu’il prend avec les faits. Les fils de sa fabulation/manipulation sont gros, mais il a de qui tenir. La politique ne baigne-t-elle pas dans le falsifié : camouflage de faits dérangeants, scénarisation et imagerie « créatives », clips habilement forgés ? Trump est en bonne compagnie dans l’univers des « faits alternatifs ».
Tous incarnent un courant qui a été à la mode. Pour le postmodernisme, tout est perceptions, impressions, opinions, discours et récits subjectifs. La validation par les faits extérieurs passe à la trappe, et avec elle la méthodologie de la quête du savoir associée à la modernité et élaborée depuis la Renaissance. Aucune vérification n’étant nécessaire, tous les énoncés se valent. Dans le monde de la postvérité, réalité et fiction sont synonymes. L’emportent ceux qui ont les moyens d’asséner leur version pour façonner les perceptions. Tel est le terreau des fake news qui polluent l’espace public et des reproches que se renvoient Trump et ses détracteurs.
Coup d’État larvé en temps réel et théâtre d’ombres
La procédure de destitution de Trump a été enclenchée dès le jour de son élection, jugée comme un affront au droit divin de l’establishment de désigner les dirigeants. La pêche pour un chef d’accusation est ouverte. Si rien d’utile n’en résulte, l’atmosphère fétide pourrait peut-être l’évincer. Habitués à vénérer le Commander in chief, les médias traînent Trump dans la boue comme un Saddam Hussein, un Milosevic ou un Poutine à renverser. Reste à voir si le modèle est Watergate ou, par un retour ironique du bâton, une variante des techniques de changement de régime que les États-Unis ont appliquées dans plusieurs pays étrangers. Les ennemis de Trump en ont d’ailleurs été les maîtres d’oeuvre.
Une lutte féroce pour le pouvoir est engagée, car les enjeux sont énormes. Trump a été élu pour réorienter l’économie américaine vers l’intérieur et mettre un terme à l’expansionnisme militarisé dans le monde. Vaste programme et hérésies intolérables pour l’establishment néolibéral-néoconservateur, en particulier toute baisse des tensions avec la Russie, cible prioritaire. À peine élu, Trump a été un président à culbuter et, en attendant, à paralyser. Pris en main par le Pentagone, il est même retourné comme une crêpe et transformé en continuateur de la politique étrangère de Clinton, de Bush et d’Obama.
Confusion et cacophonie règnent. Les enjeux socioéconomiques sont réfractés et déviés par d’émotives guerres culturelles (des « valeurs »), substitut au débat politique. Partisans et adversaires de Trump s’affrontent à travers des prismes identitaires et sociétaux qui obscurcissent la situation. Petites gens, laissés-pour-compte et travailleurs dont les emplois sont exportés (« gens déplorables », selon Hillary Clinton) puisent dans le patriotisme et le traditionalisme, ne serait-ce que par réaction au cosmopolitisme, au libertarisme et à la rectitude politique de l’élite « libérale » bien-pensante et de la bobo de gauche des côtes est et ouest. L’embrouillamini est complet.
Crépuscule de l’hégémonie américaine
L’arrière-fond du méli-mélo est l’impasse dans laquelle se trouve la puissance impériale états-unienne. Le « siècle américain » n’a pas duré 20 ans. En perte de substance productive, criblée de dettes, l’économie fait face à des concurrents plus performants. Le gigantesque appareil militaire, censé mettre le monde sous tutelle américaine, détruit admirablement mais n’a procuré de contrôle dans aucune aventure récente. On n’est plus au temps des colonies.
Se proclamer exceptionnels et indispensables ne suffit pas. Alors, comment rester prépondérants malgré tous les indicateurs ? En persistant sur la voie de la conquête du monde entier, comme le veut l’establishment, ou en n’ayant pas les yeux plus gros que le ventre et en faisant des choix, comme l’a plaidé Trump ? Dilemme des empires en perte de primauté ou en bout de parcours, cette question est au coeur des batailles qui les font tanguer et rouler des années durant.
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