Bad Influence

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Mauvaise influence

Les négociations commerciales sont habituellement l’affaire d’obscurs technocrates ennuyeux et besogneux. Avec Donald Trump, elles tournent à la joute politique confuse, brouillonne et acrimonieuse.

À en croire la version officielle, la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avance rondement. Dans une déclaration commune mercredi, les ministres responsables du dossier au Canada, aux États-Unis et au Mexique ont même qualifié de « succès » la troisième ronde de discussions qui venait de prendre fin à Ottawa, où, selon eux, des « progrès importants » auraient notamment été accomplis en faveur des PME. Mais une fois les projecteurs et les micros éteints, on entendait une histoire différente.

Ce qu’on raconte, entre autres, c’est que, bien que ce soit les États-Unis qui aient forcé la réouverture de l’entente, sans quoi ils menaçaient de claquer purement et simplement la porte, leur équipe de négociation est de loin la moins bien préparée des trois. Cela a commencé, en début de négociation, par un problème d’effectif, plusieurs postes de hauts fonctionnaires au département américain du Commerce (comme dans le reste de l’Administration américaine) n’ayant toujours pas de titulaire des mois après l’entrée en fonction de Donald Trump.

Les négociateurs canadiens et mexicains se plaignent aussi de ne toujours pas savoir ce que veulent exactement les Américains. Bien que l’objectif officiel de la renégociation soit de « moderniser » l’ALENA, qui a presque 25 ans, Donald Trump a clairement fait comprendre que, pour lui, le commerce international est un jeu à somme nulle et qu’il veut d’abord et avant tout que son pays importe moins de ses voisins et y exporte plus. Pour le reste, ses négociateurs ont bien été les premiers à dresser la liste de leurs demandes cet été, mais cette liste, dont le seul résumé faisait 13 pages, reste vague à souhait, notamment sur plusieurs des enjeux les plus litigieux, comme l’accès aux marchés agricoles, les mécanismes de règlement des différends ou le seuil de contenu nord-américain minimal pour qu’un bien soit libre de tarif.

« C’est difficile de négocier quand les enjeux substantiels ne sont pas sur la table », notait un observateur canadien dans Le Devoir jeudi. C’est comme essayer de danser sans partenaire ni musique.

Il est courant, bien sûr, qu’on garde les questions les plus délicates et les grands compromis pour le sprint final, mais il y a des limites !

Improvisation, contradiction et provocation

Ce n’est pas toujours mieux lorsque les négociateurs américains présentent des propositions plus concrètes. Il y a deux semaines, ils sont arrivés avec cette drôle d’idée d’ajouter au traité une clause de disposition dans le temps (« clause crépusculaire ») qui forcerait les pays membres à renouveler leur adhésion tous les cinq ans… avant de qualifier cela de simple « concept » lancé en l’air. La semaine dernière, ils ont voulu faire la démonstration que le contenu américain des voitures produites sur le continent était en chute libre, pour se faire dire, après vérification, que tous leurs chiffres étaient erronés.

Sinon, un grand nombre de demandes américaines seraient directement tirées du traité de Partenariat transpacifique, conclu en 2015 entre 12 pays d’Asie et des trois Amériques, dont ceux de l’ALENA, et que Donald Trump, ironiquement, a renié aussitôt arrivé au pouvoir. D’autres exigences, par ailleurs, ne semblent là que pour faire grimper les autres dans les rideaux, comme cette demande, rapportée mercredi dans le Globe and Mail, que le Mexique multiplie par huit son salaire minimum.

C’est à se demander où les États-Unis veulent en venir, se plaignaient cette semaine les négociateurs mexicains et canadiens. Lorsqu’on parle aux principaux responsables politiques du commerce américains, disait l’un de ces derniers dans le Globe and Maildimanche, on a l’impression que la population à laquelle ils cherchent à plaire ne compte qu’un individu : le président Trump.

On voit mal comment cet exercice pourrait aboutir à une entente substantielle dans l’échéancier extrêmement court qu’on s’est donné (fin 2017-début 2018), ou même à une entente tout court. Pour le moment, on se dit officiellement optimiste et le ton reste courtois, mais la pression se fera plus forte à mesure que l’heure des comptes approchera. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait prévenu d’entrée de jeu que le processus allait connaître certains moments « plus théâtraux » et « de vives émotions ».

Aux armes, citoyens !

Le Québec et le Canada en ont eu un avant-goût, cette semaine, dans l’affaire Boeing contre la CSeries de Bombardier. Les menaces de sanctions et de contre-sanctions commerciales sont aussi courantes dans l’industrie aéronautique que le sont les subventions gouvernementales. C’est la hauteur vertigineuse de la taxe punitive infligée par les autorités américaines aux avions canadiens (220 %) qui a surpris tout le monde. Trois fois plus élevée que ce qu’avait réclamé Boeing elle-même, cette taxe relève manifestement plus de l’attitude protectionniste et vindicative du président Trump que du calcul d’une agence spécialisée en commerce international, même américaine.

La nouvelle a immédiatement déchaîné des cris scandalisés et vengeurs au Canada et au Québec. Habituellement assez prudents et mesurés lorsqu’il est question du puissant et vital partenaire commercial américain, et ce même dans les heures les plus sombres des multiples conflits du bois d’oeuvre, nos élus font cette fois rouler les tambours de la guerre commerciale.

Il y en a un, à la Maison-Blanche, qui doit se sentir comme un poisson dans l’eau !

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