Ils avaient un rêve
11 novembre 2017 |Élisabeth Vallet | États-Unis | Chroniques
On les appelle les Dreamers. Ce sont les enfants du DREAM Act — un projet de loi qui a finalement pris la forme d’un décret présidentiel sous le nom de Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA). Sur les 11,3 millions d’immigrants non documentés vivant aux États-Unis (3,4 % de la population totale), on compte 1,3 million d’immigrants arrivés au pays alors qu’ils étaient enfants. Parfois âgés d’à peine quelques mois. Ils ont grandi aux États-Unis, et pour certains n’ont découvert leur statut qu’à l’inscription à l’université ou lors d’un premier emploi.
Théoriquement, ils ont enfreint — même si c’est à leur insu — les lois migratoires et sont donc susceptibles d’être expulsés du pays. En pratique, ceux qui bénéficient du programme DACA sont de bons citoyens, sinon de jure, au moins de facto. Car les conditions pour obtenir la protection du DACA afin de rester temporairement pour vivre, étudier et travailler étaient draconiennes mais pleines de bon sens : il fallait être arrivé au pays avant l’âge de 16 ans, avoir moins de 31 ans en 2012, être un étudiant ou titulaire d’un diplôme, ou avoir servi sous les drapeaux, et avoir un bon comportement (sans condamnation pour délit majeur, ce qui inclut la conduite en état d’ivresse par exemple). Alors et seulement alors, il était possible de déposer une demande pour obtenir un permis, et maintenir ces standards pour pouvoir le renouveler moyennement des frais de 495 $ tous les deux ans. Ceci, afin d’obtenir des documents de base comme un numéro d’assurance sociale (qui permet de travailler légalement), un permis de conduire et, dans certains cas, la condition pour accéder à l’université.
2012 paraît désormais appartenir à un autre siècle. Les 787 580 adolescents et jeunes adultes qui se sont déclarés auprès du gouvernement il y a quelques années dans le cadre du programme DACA ont donné leurs informations personnelles, leur adresse, le nom de leur employeur. Ils ont été transparents, ils vivent désormais dans la peur. Les autres, admissibles, mais qui n’ont pas adhéré au programme, sont déjà dans l’ombre. Car le nouveau président a mis fin au programme DACA en septembre et a promis d’expulser tous les immigrants « illégaux » : les permis vont commencer à expirer et nombre d’entre eux entrent de nouveau dans la clandestinité.
Cela signifie qu’ils quittent la maison le matin pour se rendre au travail en se demandant s’ils seront à la maison le soir. Qu’ils limitent leur accès aux soins de santé au minimum et aux grandes urgences, par peur d’être dénoncés, de manquer de chance sur le stationnement de l’hôpital en rencontrant un agent zélé, ou d’être arrêté à un feu rouge par un policier qui décide de faire venir « la Migra ». Qu’ils ont peur d’amener les enfants à l’école et d’être arrêtés devant eux. C’est aussi la peur de petits Américains, nés aux États-Unis, de rentrer à la maison le soir sans parents. Et qui ont tous les risques, si ces derniers n’ont pas fait les démarches nécessaires (mandat et délégation de pouvoir) pour qu’ils soient pris en charge par des membres de leur famille aux États-Unis, d’être placés en famille d’accueil, puis, à terme — puisque les parents sont réputés les avoir abandonnés (sic) — en adoption. Cela signifie aussi qu’une fois de l’autre côté de la frontière, les « expulsés » n’auront plus accès à leur patrimoine (voiture, biens personnels, comptes bancaires).
La décision du président n’a donc ni humanité ni bon sens. Car si les Dreamers avaient un rêve, ils contribuent aussi à la viabilité de l’American Dream. En effet, 90 % d’entre eux ont un emploi : ils paient chaque année un total de 2 milliards de dollars en impôt sur le revenu. Les exclure de la population active contracterait les contributions aux programmes d’assurance-maladie et d’assurance sociale de 24,6 milliards, selon le Center for American Progress. Tandis que le simple coût de la logistique de leur expulsion s’élève à 10 milliards, celui de leur remplacement dans la population active pourrait se chiffrer à 3,4 milliards. Et dans certains comtés — comme celui de Long Beach, Washington, dans le nord-ouest du pays —, la disparition des immigrants (qu’ils soient expulsés ou fuient par anticipation les zones patrouillées) a déjà un impact net sur les économies locales. Plus globalement, le CATO Institute évalue la contraction de la croissance économique relativement à cette décision à 280 milliards.
Dans la rue, les services d’immigration appliquent avec zèle les tweets présidentiels comme s’il s’agissait de directives exécutives. Au Congrès, les démocrates promettent de ne pas laisser tomber les Dreamers. Dans les tribunaux, les juges tentent d’ériger d’ultimes remparts. En silence, la peur a infiltré les interstices de la politique américaine.
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