«The Post» et le journalisme un demi-siècle plus tard
J’ai vu il y a quelques jours, avec un brin de nostalgie, le film de Steven Spielberg The Post, qui raconte l’histoire de la publication par le New York Times, puis le Washington Post, des Pentagon Papers, les documents secrets racontant les mensonges des gouvernements américains successifs dans l’engagement du pays au Vietnam. J’étais aux États-Unis à l’été 1971 quand cette affaire s’est passée. Je suivais avec intérêt les démêlés des quotidiens avec le gouvernement Nixon, qui voulait faire interdire la publication. J’admirais leur courage et leur indépendance. J’ai aussi vu le film comme une métaphore du temps présent. Impossible de ne pas penser aux attaques de Donald Trump contre les deux mêmes quotidiens. Spielberg dit d’ailleurs avoir fait ce film à cause du comportement de Trump. Il croit que « la guerre contre les médias orchestrée par Trump est dix fois plus puissante que celle intentée par Nixon ».
Le film fait aussi réfléchir à des problèmes tout à fait actuels ici comme aux États-Unis : les relations des médias avec les milieux politiques, leurs liens avec le monde de la finance. Au coeur de l’histoire, le problème des sources des journalistes et leur confidentialité. En fait, le véritable héros de cette affaire, c’est Daniel Ellsberg, le premier lanceur d’alerte, a-t-on dit, qui a transmis les secrets (et les mensonges) du Pentagone aux quotidiens. La question des sources se posait cette semaine encore chez nous dans le cadre du procès des ex-ministres Côté et Normandeau. Sans confidentialité garantie, les sources des journalistes se tariront et c’est l’information du public qui en souffrira. La promesse de confidentialité impose en retour au journaliste de s’assurer que sa source est crédible et motivée par le seul intérêt public. Encore faut-il savoir définir l’intérêt public.
Le film fait voir l’importance de grandes salles de rédaction et du travail d’équipe, la solidarité qui unit les journalistes dans des moments difficiles. L’existence même de ces grandes salles est aujourd’hui menacée par les difficultés financières que connaissent les médias traditionnels bousculés par les réseaux sociaux et dont les revenus diminuent comme peau de chagrin. Les pertes d’emploi s’additionnent. Chez nous, médias et journalistes réclament l’aide de l’État, au nom de la démocratie menacée. Il ne faut tout de même rien exagérer. L’information sur les affaires de la Cité, nécessaire à la vie démocratique, ne constitue qu’une partie des contenus des médias. C’est la production et la diffusion de cette information qu’il faut sauvegarder. C’est ce qui justifie l’intervention de l’État. Mais qui en précisera la nature, et comment ?
À bonne distance du pouvoir
L’offensive tous azimuts que mènent depuis des mois médias et journalistes pour obtenir une intervention d’urgence des gouvernements manifeste une unanimité agaçante. Les médias doivent s’assurer que les enjeux économiques et politiques que posent la crise et l’intervention de l’État soient soumis au même regard critique que les autres dossiers d’actualité. Sauf de rares exceptions, ce n’est pas le cas. Une réflexion poussée s’impose. L’information a-t-elle toujours une valeur marchande ? Est-il toujours possible, sauf pour des marchés de niche, d’en tirer profit ? Les entreprises existantes ont-elles un avenir ? Ne faut-il pas plutôt s’intéresser à de nouvelles façons de faire ? L’information sur les affaires publiques devient-elle la responsabilité de l’État ? L’aide de l’État, sans aucun doute essentielle à court terme, doit être encadrée selon des règles précises et connues, et éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Il est important de garder le travail journalistique à bonne distance du pouvoir.
Revenons à Spielberg et au Post en rappelant les propos du juge Black, de la Cour suprême des États-Unis, cités à la fin du film et dont la portée, toujours actuelle, est universelle : « La presse doit servir les gouvernés et non ceux qui les gouvernent. » Cela exige des médias et des journalistes indépendants et perçus comme tels. La crise que vivent les journaux et les médias traditionnels n’est pas que financière. C’est aussi une crise de confiance.
Aux États-Unis, les sympathies politiques de plus en plus affichées de certains médias et le clivage social qui en découle changent la donne et contribuent sans doute au déclin actuel de la confiance envers les médias, comme envers les autres institutions. Si elle reste plus élevée chez nous, la cote de crédibilité des médias et des journalistes n’a rien de reluisant non plus. Les perceptions de relations trop étroites des médias avec le pouvoir existent aussi et empoisonnent le climat. Faire montre de la même indépendance vis-à-vis des milieux politiques et financiers que manifestait la propriétaire du Washington Post il y a près de 50 ans pourrait aider à retrouver un peu du lustre perdu. Sans oublier cependant que The Post, c’est du cinéma !
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