France: Factory of Fantasies for a Divided America

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La France, usine à fantasmes pour une Amérique divisée

Par Boris Toucas , Chercheur invité au Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington — 24 avril 2018 à 13:17

La France, usine à fantasmes pour une Amérique divisée

La France n’a jamais laissé les Etats-Unis insensibles. Les élites américaines aiment y comparer leur propre système (valeurs morales, débats sur les armes, modèle économique) et s’en servent de référence pour jauger les autres pays européens. L’évocation de la France et des liens historiques entre les deux pays inspire des sentiments puissants mais complexes, allant selon les périodes de l’admiration au rejet brut. En 2003, le «non» à la guerre en Irak avait ainsi déclenché une virulente campagne médiatique anti-française.

Un calendrier électoral proche dans les deux pays a relancé en 2016 l’intérêt pour les comparaisons transatlantiques. La désaffection démocratique, le délitement du tissu social, le Brexit alimentaient une vague populiste censée déferler sur l’Occident. Le cénacle washingtonien, sidéré par l’élection de Donald Trump, s’est passionné avec tristesse pour l’élection présidentielle française, prédisant la chute de l’Europe pour exorciser le chaos institutionnel américain. La France, marquée par le terrorisme, ne s’est pourtant pas effondrée, et c’est une Union européenne unie et déterminée qui affronte le Brexit.

«Bromance»

Un an après, une Amérique divisée continue de projeter sur la France ses fantasmes, mais le regard porté sur notre pays s’est transformé. Si certains sympathisants de la droite radicale américaine ont vu dans la victoire d’Emmanuel Macron la main d’une élite mondialiste honnie, la frange modérée du Parti républicain, préoccupée par les excès de «son» président, a observé avec intérêt l’exemple de révolution politique pacifique offert par la France. Pour l’opposition démocrate en pleine introspection, l’expérience française incarne la validation d’une plateforme politique résolument libérale et ouverte au monde qu’elle proposait aux Etats-Unis. Les discours en anglais du Président français sont largement relayés dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Les commentateurs américains qualifient la relation personnelle singulière entre les deux chefs d’Etat de «bromance» (contraction de brother, frère, et romance). Mais Trump en tire un profit direct. Voyant sa légitimité affectée par les soupçons d’ingérence russe dans l’élection de 2016 et les scandales qui rythment son mandat, il peine à affirmer son statut présidentiel et se sait impopulaire à l’étranger. L’attelage qu’il forme avec Emmanuel Macron, partenaire improbable, adoucit son image et conforte le statut de négociateur international qu’il revendique. Signe des temps, les médias conservateurs, souvent critiques à l’égard de la France, font cette fois de l’Allemagne ou de la Suède leurs cibles privilégiées.

Respect

Le moment français aux Etats-Unis est dû en partie aux circonstances. Les moteurs traditionnels de la relation transatlantique se sont grippés face à un président américain eurosceptique. L’Allemagne de Merkel, chérie sous Obama, s’affirme viscéralement anti-Trump, tandis que le Royaume-Uni, affaibli et vexé par les commentaires du président américain sur les attentats de 2017, consacre l’essentiel de ses efforts diplomatiques à la négociation du Brexit. Paris, dont la capacité à mener seul des opérations militaires audacieuses suscite le respect à Washington, s’est habilement positionné pour devenir l’interprète des Etats-Unis auprès d’Européens aussi désabusés qu’inaudibles.

Nul ne peut ignorer la première puissance mondiale. La personnalité et les orientations politiques du président Trump sont controversées, mais les relations diplomatiques engagent des Etats et non des individus. Alors que le voisinage de l’Europe est déstabilisé au Sahel, en Ukraine ou au Moyen-Orient, il est urgent d’avoir un dialogue franc avec un allié américain devenu imprévisible. La France doit profiter de son moment américain pour convaincre le président Trump de protéger un ordre international que la Russie ou la Chine voudraient bousculer, et le dissuader de sacrifier ses relations avec l’Europe sur l’autel de la politique de l’America First.

La visite de Donald Trump à Paris l’an dernier avait laissé un goût d’inachevé. Le président américain s’était enthousiasmé pour la parade du 14-Juillet (qu’il entend reproduire aux Etats-Unis), mais n’avait que peu infléchi sa position sur les grands dossiers internationaux. La situation s’est dégradée depuis. Des Etats-Unis aux velléités protectionnistes s’en prennent à l’industrie européenne. Donald Trump juge l’accord de Paris sur la lutte contre le réchauffement «catastrophique», il menace de décertifier, le 12 mai, l’accord sur le nucléaire iranien, si les Européens n’obtiennent pas des concessions significatives de Téhéran. En visite aux Etats-Unis, le président français, dont le salut est célèbre outre-Atlantique, devra faire preuve d’une réelle main de fer face à son homologue.

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