The ‘Chinese Dream’ and the Decline of the ‘American Dream’

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L’Amérique et l’Europe ont su faire rêver avec leurs valeurs humanistes. Aujourd’hui, c’est le rêve chinois, celui de la prospérité, qui l’emporte. En passant de l’Ouest à l’Est « le rêve » a pris une dimension plus matérialiste et « illibérale », plus conforme sans doute à l’esprit du temps.

« Les Chinois étaient partout et tout le monde parlait de leur nouvelle route de la soie ». Mon interlocuteur est Japonais. Il est de retour d’Amman où il a participé comme nombre de grands banquiers à une réunion conjointe de la BERD (Banque européenne de reconstruction et de développement) et de l’AIIB (Banque d’investissement pour les infrastructures). Il me décrit presque avec envie, cette réalité nouvelle, ce « rêve chinois », qui avec l’aide involontaire des Etats-Unis et des pays membres de l’Union, se substitue progressivement au rêve américain et européen. Ne fermons-nous pas nos coeurs et nos frontières au moment où les Chinois construisent des routes, des ponts, des canaux et agrandissent des ports ?

Dans le film danois « Pelle le Conquérant » , palme d’or au festival de Cannes en 1988, des paysans suédois partis faire fortune au Danemark, à la fin du dix-neuvième siècle, se trouvent confrontés à la dureté de leur condition d’existence. A la conclusion du film, un frère partira aux Etats-Unis, un autre restera en Europe pour faire la révolution. En cette fin de guerre froide le film semble porteur d’un message simple. La révolution socialiste a échoué en Europe – l’URSS est sur le point de s’effondrer – le rêve américain triomphe. Le frère qui a traversé l’Atlantique a fait le bon choix, mais celui qui est resté ne s’est pas complètement fourvoyé. Le modèle social-démocrate s’est imposé en Scandinavie. En 2018, le message de ce film semble appartenir à un monde si lointain.

Les Chinois n’ont pas de passé colonial

Car le rêve chinois d’aujourd’hui est d’une tout autre nature que le rêve américain ou européen d’hier. Il ne s’agit plus de rejoindre une terre d’accueil, synonyme de liberté et de respect des droits de l’homme. Pour aller à l’essentiel on est passé du : « Je viens chez vous pour survivre et me réaliser » au : « Venez chez moi avec votre argent et votre énergie. Vous êtes mon dernier espoir ».

Pour les Africains et les Moyen-Orientaux, sans oublier les Européens du Sud, des Balkans et du Centre-Est, la Chine, par son argent devient la référence ultime. Mais pas seulement pour cela. Ainsi pour les Africains, les travailleurs Chinois, contrairement aux Occidentaux ne sont pas seulement sans passé colonial, mais vivent sur place dans des conditions très proches de celles des travailleurs locaux. Pour les Grecs ou les Bulgares, les Chinois peuvent être des négociateurs redoutables mais, contrairement aux autorités de Bruxelles, ils ne posent aucune condition, ne donnent aucune leçon. Avec eux tout est simple, « ils ont la dureté du diamant ». Ils ne font que poursuivre leurs intérêts qui peuvent coïncider avec les vôtres.

De fait, il existe comme un phénomène de vases communicants, entre rêves américains et européens d’un côté et rêve chinois de l’autre. Plus les premiers s’assèchent, plus le second s’épanouit. En se fermant comme ils le font – disons le clairement, plus encore par égoïsme que par peur – les Etats-Unis et l’Europe, contribuent directement aux efforts de la Chine. Comment pourrions nous mettre en avant des valeurs que l’on imposerait aux autres alors même que nous ne les pratiquons plus chez nous ?

Une nouvelle géographie du monde

« Le Retour du Monde de Marco Polo » pour reprendre le titre d’une collection d’essais publiée récemment par Robert D. Kaplan ne correspond pas seulement à l’apparition d’une nouvelle géographie politique du monde, mais à une nouvelle carte des sensibilités. Si le début du vingt et unième siècle, peut évoquer la fin du treizième siècle, c’est tout simplement parce qu’à travers le temps, la Chine est animée de la même ambition. Consolider son Empire par le biais du commerce, et ce par l’établissement de deux routes, terrestre et maritime, liant la Chine et l’Europe, via l’Inde, la Perse et la Russie.

L’expression « route de la soie » n’est pas chinoise. Elle a été forgée à la fin du dix-neuvième siècle par le géographe allemand, Ferdinand Von Richthofen qui fût le premier à parler de « Seidenstrasse ». Les Chinois parlent plus volontiers de « One Belt, One Road » (une ceinture, une route) mais ne sont pas mécontents de faire rêver les Occidentaux par l’utilisation d’une formule qui correspond à leur imaginaire, puisqu’elle fut créée par eux.

Une dimension illibérale et centralisatrice

Si les « nouvelles routes de la soie » reprennent le tracé des anciennes, la comparaison avec la fin du treizième siècle est cependant trop réductrice. Kubilaï Khan, contrairement à Xi Jinping aujourd’hui, n’était pas animé par un esprit de revanche collectif, sinon personnel, la Chine n’avait pas été humiliée par l’envahisseur occidental. Elle exportait ses produits, le raffinement de sa civilisation, sa supériorité technologique – éclatante dans certains domaines – simplement pour étendre son influence à l’extérieur et consolider sa puissance à l’intérieur. La mondialisation surtout n’avait pas le sens qui est le sien aujourd’hui à l’heure de la double révolution des transports et de l’information.

Mélange de déception, sinon de dépit à l’égard du monde occidental, et d’attirance pour les capitaux venus de Chine, « le rêve chinois » ne saurait faire oublier les failles du système en matière de respect des droits que nous considérons comme fondamentaux. Dans sa centralisation absolue, le modèle chinois peut se révéler efficace pour transformer en profondeur une société, construire des infrastructures et progresser au plan scientifique et technologique. En passant de l’Ouest à l’Est « le rêve » a pris une dimension plus matérialiste et « illibérale », plus conforme sans doute à l’esprit du temps.

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