La classe politique américaine arrivera-t-elle jamais à s’entendre sur une réforme du système d’immigration ? En son temps, le président George W. Bush avait fait de gros efforts pour jeter les bases d’un compromis qui combinait un renforcement de la frontière avec le Mexique à de balbutiantes mesures visant à créer un système de permis de travail temporaire pour les migrants et à régulariser le statut des quelque 11 millions d’« illégaux » installés aux États-Unis. Au bout du compte, les seules initiatives votées par le Congrès avaient consisté à investir 10 milliards $US dans la construction de murs et de clôtures à la frontière et l’embauche de 3000 patrouilleurs frontaliers supplémentaires.
Après lui, ses touchants discours humanistes n’ont pas empêché Barack Obama d’être surnommé le « deporter-in-chief » pour le nombre record d’expulsions d’illégaux effectuées sous sa présidence — quelque 3 millions de personnes, soit davantage que tous les présidents précédents réunis. Il espérait apparemment que ces expulsions massives allaient convaincre le Congrès à majorité républicaine d’ouvrir la porte à des mesures de régularisation du statut des illégaux qui se trouvaient aux États-Unis depuis assez longtemps pour s’y être construit une vie et y avoir élevé des enfants. En vain. C’est dans ce contexte que M. Obama avait par ailleurs eu l’intelligence de joindre la parole aux actes en légalisant par décret présidentiel la présence en sol américain de 800 000 « Dreamers », ces immigrants arrivés aux États-Unis alors qu’ils étaient enfants — un programme que Donald Trump a eu l’insondable méchanceté d’annuler il y a un an, jetant dans les limbes des centaines de milliers de personnes dont la contribution à l’économie et à la société américaines est incontestable.
M. Trump a poussé plus loin la méchanceté en acceptant que soient séparés indéfiniment, au nom de sa politique de « tolérance zéro », les enfants des parents entrés illégalement aux États-Unis. Jamais un président n’avait osé aller aussi loin : plus de 2300 enfants envoyés dans des centres de rétention pendant des semaines pendant que leurs parents sont déférés devant les tribunaux. L’approche parfaitement infâme a provoqué des haut-le-coeur jusque dans les rangs du Parti républicain. Mais il n’empêche qu’elle est l’expression, poussée à l’extrême, de l’incapacité vieille d’au moins vingt ans de la classe politique américaine à trouver une façon de remettre de l’ordre dans le système d’immigration. La responsabilité de cet échec est collective. L’engagement pris mercredi par M. Trump de « signer quelque chose » afin d’éviter la séparation des familles ne changera rien sur le fond à l’imbroglio. Car le décret qu’il a finalement signé en milieu de journée ne visait en fait qu’à apaiser dans l’actualité une tempête de désapprobation. « Je n’aimais pas voir les familles séparées », a-t-il expliqué. Reculade étonnante, malgré tout, de la part d’un homme qui n’a pas l’habitude de se laisser démonter et dont les positions anti-immigrantes sont un ingrédient fondamental de la popularité auprès des Américains qui l’apprécient.
La « tolérance zéro » affichée par le président est en dessous de tout en ce que, contrairement à ses prédécesseurs, elle n’envisage aucun projet de solution au plus large enjeu de la régularisation. Elle est en dessous de tout parce qu’elle se résumait à monnayer le sort d’enfants contre la construction de son mur.
Le calcul est d’autant plus exécrable qu’il est probablement mauvais. D’abord parce que l’impasse au Congrès est beaucoup trop profonde pour être résolue sur la base de ce chantage. Paul Ryan, leader des républicains à la Chambre des représentants, a annoncé la tenue d’un vote jeudi sur un projet de loi qui réglerait tout à la fois le problème des Dreamers et celui de la séparation des familles. On peut en douter, comme le ménage à trois que forment les démocrates, d’une part, et les républicains modérés et conservateurs, d’autre part, est profondément conflictuel.
Mauvais calcul, surtout, parce que le durcissement migratoire que préconise M. Trump ne découragera pas, ou si peu, les migrants — qui pour la plupart fuient la violence et la misère d’Amérique centrale — de traverser la frontière à tout prix. Une approche semblable, quoique moins draconienne, a été appliquée à partir de 2005 dans le cadre de « Operation Streamline », suivant la logique que le dépôt de poursuites contre les migrants illégaux serait un instrument de dissuasion. Les études sont loin d’avoir démontré que la judiciarisation du problème ralentissait le flux migratoire. Preuve, faut-il le rappeler, que les solutions sont en amont : elles passent par le développement dans les pays d’origine d’États de droit dignes de ce nom. Le même argument s’applique à l’Europe.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.