The American Press: Necessary Momentum for Solidarity

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Presse américaine: un élan nécessaire de solidarité

La vérité n’est pas absolue et les médias n’en possèdent pas la science infuse. Ils ne sont pas toujours à la hauteur de leur déontologie. Ils commettent des erreurs et ne se corrigent pas toujours. Les intérêts commerciaux qu’ils défendent entrent parfois en conflit avec les exigences d’une information éclairée. Nombre de journalistes méritent à juste titre de se faire rappeler à l’ordre pour leur complaisance à l’égard des pouvoirs.

C’est dire qu’il y aura toujours place dans les salles de nouvelles pour davantage d’autocritique. La victoire présidentielle de Donald Trump, que les grands médias américains se sont refusés à envisager jusqu’à la dernière seconde, a montré par l’absurde à quel point leur représentation de la réalité pouvait être incomplète, sinon partiale. De fait, la presse traîne une mauvaise réputation qui précède largement l’entrée de ce président à la Maison-Blanche. Et, oui, on peut se demander certains jours si CNN et le New York Times ne confondent pas leur rôle avec celui d’un parti d’opposition.

Mais dans l’ensemble, les journalistes qui pratiquent leur métier en démocratie sont des professionnels qui ont le souci de raconter le monde de la façon la plus juste et la plus exacte possible. Rien n’agace davantage un journaliste, professionnellement et personnellement, que de commettre une erreur de fait.

Ce n’est pas sur ces bases que Donald Trump critique les médias. Accusant tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui de disséminer des « fake news » et d’être « l’ennemi du peuple », l’homme qui fait tous les jours dans ses tweets matinaux la preuve de son allergie à tout débat cherche seulement et bêtement à vouloir imposer une pensée unique — la sienne. Or « les mots ont du pouvoir, et ceux d’un président en ont beaucoup ici, aux États-Unis », remarque The Southern California News Group (SCNG), l’un des quelque 200 groupes de presse américains qui signaient jeudi des éditoriaux dans le cadre d’une intervention collective pour dénoncer les attaques que mène de façon incessante M. Trump contre les médias depuis son arrivée à la présidence, il y a plus d’un an et demi, et mettre en lumière les risques que cela représente pour l’exercice du premier amendement de la Constitution.

C’est une pensée unique truffée de mensonges et de demi-vérités proférés à un rythme inégalé dans l’histoire de la présidence américaine : début septembre, le Washington Post (qui ne s’est par ailleurs pas joint au mouvement de protestation) faisait état en une d’une croissance exponentielle des « affirmations fausses et trompeuses » faites par M. Trump au cours des derniers mois. Le décompte du quotidien a établi le nombre de ces faussetés pendant la première année de sa présidence à 2140. Dans les six derniers mois — et à l’aube des législatives de mi-mandat au Congrès —, ce nombre a presque doublé, à 4229. C’est dire, commentait à ce sujet The New Yorker, que M. Trump se sent de plus en plus libre de diriger la Maison-Blanche comme il l’entend et de « dire et faire ce qu’il veut quand il le veut ». Or, s’il est un président particulièrement impopulaire dans l’ensemble de la population, il reste, signale encore la revue, que 80 % (!) des électeurs républicains lui demeurent fidèles.

Partant donc du principe qu’il ne s’agit pas d’une présidence comme les autres et qu’elle représente un danger pour la démocratie, le geste exceptionnel posé par ces 200 médias regroupant environ 350 journaux était un cri d’alarme nécessaire. Il en va en partie de leur avenir : menacé par la déferlante des réseaux sociaux, les journaux américains, comme un peu partout en Occident, luttent pour leur survie économique, et ce rétrécissement économique pèse sur la qualité de l’information. Prêchent-ils aux convertis ? Sans doute. Leur sortie va-t-elle cristalliser contre eux les militants les plus vociférants de M. Trump ? Sûrement. Mais le fait est que la conjoncture ne se prête guère au rapprochement entre les uns et les autres. La collision est frontale et elle est inévitable. La montée de la gauche au sein du Parti démocrate en témoigne.

La défense de la liberté de presse est partout une bataille constante. S’attaquer à cette liberté comme le fait Donald Trump, c’est participer d’une logique antidémocratique qui, suivant le scénario du pire, se trouve à pousser à la clandestinité l’exercice du droit de parole et de dissidence. Ce faisant, son comportement requiert que les médias soient plus rigoureux que jamais. D’autant qu’il s’inscrit dans une tentative plus large de déconstruction des libertés et des progrès sociaux — au chapitre de l’environnement, du droit à l’avortement, de l’accès aux soins de santé et de l’indépendance de la justice. Ce que viennent de dire tous ces journaux en éditorial avait besoin de l’être. Et aura forcément besoin de l’être encore.

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