De façon quasi unanime, la grande presse américaine tresse une couronne de laurier à John McCain, le sénateur républicain de l’Arizona mort samedi d’un cancer du cerveau, après plus de cinq mandats à ce poste.
Surtout connu à l’étranger comme l’adversaire malheureux de Barack Obama à la présidence — malheureux mais digne —, il avait immédiatement souligné, au soir du 4 novembre 2008, le caractère historique de l’élection du premier Noir à la Maison-Blanche.
Cet automne-là, durant une campagne acharnée, McCain n’avait pas hésité à rabrouer publiquement certains de ses partisans qui agitaient les rumeurs folles — bientôt reprises par un certain Donald Trump — sur les origines, la nationalité ou la religion « cachées » de Barack Obama… le « musulman » ou « l’Arabe » qui « mentait sur son identité ».
Déjà, cette volonté de ne pas céder au mensonge et au déni de réalité comme fondements de l’idéologie et de l’action faisait de John McCain un animal politique différent… bientôt étranger dans son propre parti.
Un homme politique conservateur — voire ultraconservateur par moments : il a appuyé l’invasion de l’Irak en 2003, flirté avec les climatosceptiques, choisi l’impayable Sarah Palin comme colistière —, mais sincère et transparent, répugnant à la « réalité alternative » devenue tactique et stratégie politiques.
À l’ère Trump, McCain a donc naturellement incarné, dans un parti devenu le jouet de son roi-enfant, l’opposition à la démagogie, à la corruption et au mensonge qui règnent aujourd’hui à la Maison-Blanche.
Pas étonnant que Donald Trump ait fait de ce politicien à l’ancienne, ancré dans une certaine conception de l’honneur et de la vérité, l’une de ses cibles privilégiées dans le Parti républicain, l’objet répété de sa furie et de ses insultes.
Le soldat courageux du Vietnam, le multilatéraliste des relations internationales, l’homme des initiatives « bipartisanes » au Sénat, le politicien au franc-parler capable de reconnaître publiquement ses erreurs : McCain représentait tout ce que Trump n’est pas, tout ce que les États-Unis ne sont plus.
Au niveau inconscient, il en était sans doute venu à représenter, dans la perception de l’actuel président, un acte d’accusation permanent.
La disparition de cet « anti-Trump » par excellence est aujourd’hui soulignée sur un mode double : optimiste ou pessimiste.
Lecture optimiste : voici un modèle dont la mémoire doit être entretenue, dont la moralité et le caractère exemplaire peuvent servir de base à la résistance et à la reconstruction du Parti républicain. John McCain incarnerait un conservatisme non démagogique, lequel peut et doit sortir du monde imaginaire dans lequel Donald Trump l’a enfermé. Dans cette vision, la formation doit redevenir le pôle d’un vrai débat bipartite, qui a aujourd’hui disparu aux États-Unis.
Lecture pessimiste : avec John McCain disparaît « le dernier des Mohicans », représentant d’un monde politique qui s’en va. Sa mort dégage le paysage à droite, et accentue le triomphe de « l’anti-politique » incarnée par Donald Trump. McCain était un électron libre, un empêcheur de tourner en rond : on se souvient de son vote dissident qui, sur l’Obamacare en juillet 2017, avait empêché la majorité républicaine d’abroger la loi sur l’assurance maladie, chère aux démocrates et à une majorité d’Américains.
Lui parti, il faudra voir par quel type de politicien il sera remplacé.
L’avenir proche dira laquelle de ces deux lectures collera le plus à la réalité.
D’ici quelques mois, la Chambre des représentants sera entièrement renouvelée et la possible élection d’une majorité démocrate pourrait mettre un frein à la « dérive trumpienne ».
Dans le même temps, l’enquête Mueller sur la présumée collusion, en 2016, entre l’équipe Trump et les services secrets russes — et sur toute une série de scandales collatéraux — pourrait accoucher, cet automne, d’un rapport ou de mises en accusation dévastateurs pour toute la faune bizarre qui fourmille autour de l’équipe Trump et de la Maison-Blanche.
Avec une question angoissante à la clé, toujours la même : cette fois-ci sera-t-elle « la bonne »… ou Trump réussira-t-il, encore une fois, à faire reculer les limites du concevable en politique ?
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