Trumpistan vs. Clintonesia

 

 

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Le résultat des “midterms” aura donc confirmé la fracture profonde de la société américaine. La communauté internationale espérait que l’Amérique allait reprendre ses esprits, se réveiller du cauchemar populiste qui a saisi le pays en 2016 et porté ce président outrancier et vulgaire à sa tête, comme une caricature de ses pires penchants. Mais non. Ces élections de mi-mandat auront clarifié la géographie de la rupture des deux Amériques. Et polarisé un peu plus encore les camps.

D’ailleurs, chacun de ces camps a finalement progressé. Les démocrates ont lavé l’affront de la défaite d’Hillary Clinton en gagnant la majorité à la Chambre des représentants. Mais les républicains consolident leur majorité au Sénat. Le Parti démocrate est devenu celui des femmes et des minorités, le Parti républicain s’est droitisé et “trumpisé”. Le taux de participation inédit pour des “midterms” marque plus la haine de l’autre camp que l’amour de la démocratie. Dans cet état de division aigüe, les opposants de Donald Trump soupirent de soulagement, remarquant que le système de checks and balances (séparation des pouvoirs) de la grande démocratie va pouvoir s’appliquer, les institutions border un président jusqu’ici incontrôlable. Ils s’inquiètent peu du fait que le pays risque aussi de connaître un blocage institutionnel dangereux.

“Bluexit”

Dans ce contexte, et depuis quelque temps déjà, le fantasme de la sécession qui est toujours sous-jacent aux Etats-Unis se réactive. On se souvient qu’avant même la publication des résultats de l’élection de Trump, l’homme d’affaires de la Silicon Valley Shervin Pishevar, investisseur d’Uber et d’Airbnb, avait annoncé son intention de financer une “campagne légitime permettant à la Californie, Etat progressiste et écolo, de devenir une nation” si Trump l’emportait. D’autres avaient déjà évoqué par le passé la sécession de leur Etat, comme l’ancien gouverneur du Texas Rick Perry en 2009 ou le professeur de sciences économiques Thomas Naylor qui avait lancé l’idée d’une deuxième république du Vermont.

C’est d’ailleurs le sujet du roman dystopique d’Omar El Akkad, “American War”, paru quelques mois après l’élection de Trump (et dont la traduction française a été publiée par Flammarion). En 2074, à la suite de la promulgation d’une loi interdisant l’usage des combustibles fossiles dans tous les Etats-Unis, le Mississippi, l’Alabama, la Géorgie, la Caroline du Sud et le Texas refusent de l’appliquer et proclament leur indépendance. La situation débouche sur la seconde guerre de Sécession.

Dans son numéro du 9 mars 2017, la revue “The New Republic” proposait elle aussi un “Bluexit”, “une modeste proposition pour séparer les Etats bleus (démocrates) des Etats rouges (républicains). Sous la forme d’une lettre adressée aux Etats ayant voté Trump, un “patriote des Etats bleus” déclarait : “Nous laissons tomber. Vous avez gagné… Nous ferons encore partie des Etats-Unis au moins sur le papier. Mais nous tournerons le dos au gouvernement fédéral de toutes les manières possible. Nous ferons de notre Amérique bleue un incubateur de progressisme, un laboratoire de revenu garanti… et d’universités publiques… Notre séparation est inéluctable.”

Avec ces élections et le Congrès divisé qu’elles ont produit, la sécession virtuelle des Etats-Unis entre le Trumpistan et la Clintonésia s’ancre dans les institutions.

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