Trump Didn’t Create Hate, He Exploited It

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Il me semble qu’on passe vite à autre chose, ces temps-ci. Sans doute, on préfère passer à autre chose. Un massacre en efface un autre. L’addition des massacres les rend plus banals. Ils sont attendus. Comme un ouragan fait oublier le précédent, une fois comptabilisées les pertes humaines et matérielles. Quelle catégorie ? Ce n’est jamais le dernier…

Je ne suis pas friand des palmarès macabres, mais 11 êtres humains assassinés dans une synagogue à Pittsburgh, ce n’est pas seulement « une autre tuerie à l’américaine » ou une histoire de tueur fou. C’est le pire acte antisémite de l’histoire de ce pays.

Déjà, on accuse Donald Trump d’avoir créé le climat propice à l’expression violente de l’antisémitisme. Pas si sûr. Cette haine raciale couve sous les braises de la démocratie américaine depuis longtemps. Trump s’en est servi, et une partie de son succès vient de ces appels codés aux extrémistes blancs. Quand il dit, comme la semaine dernière : « Oui, je suis nationaliste », on entend en fait : « Oui, je suis un nationaliste blanc ». Quand il dit des médias de masse qu’ils sont « les ennemis du peuple », on entend : du peuple blanc.

Ces termes-là sont utilisés dans les réseaux de l’extrême droite américaine, ils résonnent très fort, et Trump s’est collé à trop de gens de l’alt-right pour plaider son innocence.

Pour autant, attribuer à Trump la responsabilité de l’attentat de samedi à Pittsburgh est trop commode. Ce crime haineux est en continuité avec plusieurs autres, qui se sont produits sous des administrations démocrates.

Plusieurs d’entre nous avons appris hier l’existence du réseau social « Gab », qui prétend être le refuge de la vraie liberté d’expression aux États-Unis. C’est en fait le refuge de tous les éjectés des réseaux sociaux « traditionnels ». Une fois barrés de Facebook ou de Twitter pour propos violents ou racistes, plusieurs se sont tournés vers Gab, lieu qui se dit anti-rectitude politique. C’est en fait le rendez-vous des néonazis et de tous les extrémistes. Depuis janvier, l’auteur présumé de la tuerie de Pittsburgh y était actif sans complexe et sans problème. « Les juifs sont les enfants du diable », écrivait-il dans son « profil ». Il y avait plusieurs allusions néonazies, comme le nombre « 1488 » – 14 pour les 14 mots d’une sorte de credo qui se lit à peu près comme suit : « Nous devons protéger l’existence de notre peuple et le futur des enfants blancs » ; et 88 pour Heil Hitler, vu que la lettre H est la 8e de l’alphabet.

Au New York Times, le responsable du site se défendait en disant que grâce à Gab, la police peut établir un mobile du crime de l’assassin. Sans eux, cette preuve ne serait pas disponible !

Pour lui, Twitter et les autres plateformes interdisent le discours haineux, sauf quand il vise « Trump, les Blancs, les chrétiens ou les gens des minorités qui ont déserté le Parti démocrate ». Dans leur esprit, ceux-là sont des cibles légitimes de haine.

Le site est en voie de déconnexion maintenant qu’il est associé à un acte criminel de cette ampleur. Il était pourtant tout aussi odieux vendredi…

Pour autant, est-ce que « les médias sociaux » ont créé ce crime haineux ? Robert Bowers, l’homme arrêté samedi, y était actif depuis janvier. Est-ce que sa rage meurtrière y a été augmentée et alimentée ? Peut-être. Et il y a beaucoup à dire sur la responsabilité de ces sites, ceux qui les hébergent et ceux qui permettent leurs activités commerciales – qui décampent maintenant opportunément.

Mais encore là, c’est trop commode d’accuser un site, aussi détestable soit-il. Il y a dans un segment de la société américaine un fond de haine raciale, où se mêlent antisémitisme, sentiment anti-gouvernement, haine des immigrants et des minorités sexuelles dans une superbe confusion intellectuelle.

Un fil sanglant relie Timothy McVeigh (33 ans, qui a tué 168 personnes à Oklahoma City en 1995) à Bowers et à plusieurs autres. McVeigh avait lu The Turner Diaries, un roman d’anticipation antisémite qui raconte une guerre civile aux États-Unis où des nationalistes blancs se rebellent contre le gouvernement et déclenchent une guerre nucléaire. L’ouvrage date de 1978 et est facilement accessible sur les sites de vente officiels. Il est considéré au Canada comme de la propagande haineuse et à ce titre illégal – il est aussi interdit en France, notamment. D’après des articles du New York Times et du Guardian publiés en 2000, il avait déjà été vendu à plus de 500 000 exemplaires il y a 18 ans. C’est l’équivalent moderne en plus confidentiel et inavouable du Protocole des Sages de Sion, faux ouvrages d’un complot juif mondial qui, au début du XXe siècle, était le livre le plus vendu après la Bible aux États-Unis.

Ce texte antisémite paranoïaque, mêlé à d’autres thèses hostiles à l’État, a inspiré aussi Anders Breivik, 32 ans, qui a tué 77 jeunes en Norvège en 2011, pour cause de multiculturalisme et de complaisance envers l’islam. Mais aussi Dylann Roof, 21 ans, qui est entré dans une église baptiste de Caroline du Sud en 2015 et a tué neuf Noirs. Indirectement, il a aussi influencé Alexandre Bissonnette, 27 ans, qui a tué six personnes dans une mosquée de Québec en 2017. Bissonnette avait étudié plusieurs tueries, et en particulier celle de Roof.

Cette haine-là a des racines profondes, qui précèdent Trump – Bowers lui reprochait d’être trop complaisant avec les juifs, en passant. Trump n’a rien fait pour la combattre, il n’a jamais les mots qu’il faudrait, il a même utilisé le racisme à son profit. Mais il n’a pas créé cette haine et elle ne disparaîtra pas après lui, ne s’apaisera pas non plus après sa présidence, tant elle a de compagnons de route anonymes…

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