Si Donald Trump a annoncé la « victoire » contre le groupe jihadiste, le retrait des forces américaines pourrait lui redonner des forces.
Si Moscou, Téhéran et Ankara se frottent les mains depuis l’annonce de Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie, le groupe État islamique (EI) pourrait également en profiter.
Mercredi, le président américain a créé la surprise en affirmant la fin de la participation de ses armées en Syrie contre le groupe jihadiste, estimant celui-ci vaincu et qu’il était temps pour ses soldats de rentrer « à la maison ». « Nous avons vaincu l’État islamique en Syrie, ma seule raison d’être là pendant la présidence de Trump », a tweeté le locataire du bureau Ovale. « Nous avons gagné. (…) Il est temps que nos troupes rentrent à la maison. Nos garçons, nos jeunes femmes, nos hommes, ils rentrent tous et ils rentrent maintenant », a-t-il poursuivi dans une vidéo publiée un peu plus tard dans la soirée.
Cette annonce a fait de nombreux déçus, notamment dans le camp occidental. Paris, Londres et Berlin se sont dit inquiets hier de la volte-face du chef de la Maison-Blanche et insistent pour dire que la lutte contre le groupe terroriste n’est pas terminée. Sur place, les autres grands perdants sont les Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition arabo-kurde), jusqu’alors soutenues par Washington dans la lutte contre l’EI dans l’est du pays. Ces derniers considèrent le retrait américain comme un « abandon » et une « trahison », mais ont néanmoins assuré hier que cette lutte contre l’EI continuera « pour le moment ».
Car si le groupe jihadiste a perdu la quasi-totalité de son « territoire » en Syrie depuis 2014, et que le dernier de ses fiefs urbains, Hajine, à la frontière irakienne, a été repris le 14 décembre par les FDS, il n’en a pas pour autant disparu. Et le détail que le président américain semble occulter, c’est que les pertes territoriales de l’organisation jihadiste ne signifient pas pour autant sa défaite. L’EI dispose encore d’un certain nombre de combattants à travers l’Irak et la Syrie et des cellules dormantes pourraient resurgir. « Le contrôle du territoire par l’EI se limite principalement à une bande de terre à Deir ez-Zor, le long de l’Euphrate, mais le groupe dispose de cellules d’insurgés actives dans les provinces de Hassaké (Nord-Est), Raqqa (centre Nord) et Alep (Nord-Ouest) », explique Ayman Jawad al-Tamimi, chercheur associé au Middle East Forum et spécialiste de la Syrie, contacté par L’Orient-Le Jour. D’après le New York Times, « le porte-parole de la coalition dirigée par les États-Unis contre l’État islamique, le colonel Sean J. Ryan, a estimé que le groupe comptait toujours entre 2 000 et 2 500 combattants dans la région de Hajine. Les experts estiment que l’organisation compte entre 20 000 et 30 000 combattants en Syrie et en Irak, bien que la plupart d’entre eux soient maintenant entrés dans la clandestinité ». Parmi ceux-là, « 10 000 à 15 000 sont présents en Syrie. Ces chiffres sont basés sur des estimations de sources ouvertes provenant d’un éventail de sources », explique Maxwell B. Markusen, chercheur au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington, contacté par L’OLJ. Le groupe mènerait « toujours environ 75 attaques par jour », ajoute-t-il, cité par le NYT.
Racket et enlèvements
Les cellules dormantes du groupe terroriste agissent par exemple en Irak, où de multiples attentats, meurtres, enlèvements et des cas de racket contre des populations sont recensés et revendiqués par le groupe jihadiste, et ce, un an après que l’ancien Premier ministre irakien Haider al-Abadi eut annoncé que le groupe terroriste était vaincu en Irak. Cette situation pourrait ainsi se reproduire, cette fois en Syrie. Par ailleurs, avec l’absence des troupes et des frappes de l’aviation américaines pour soutenir les FDS, menacées aussi à l’ouest par une très proche offensive d’Ankara, l’EI pourrait, en plus de ses actions, regagner du terrain. « Si les FDS sont attaquées par la Turquie ou d’autres rivaux, l’EI pourrait exploiter le vide pour récupérer un peu du terrain qu’il a perdu », poursuit Ayman Jawad al-Tamimi. « L’EI a perdu une grande partie de son territoire et a donc perdu une partie de sa capacité à taxer les populations, à exporter du pétrole, etc. Cependant, il mène des opérations de racket, un peu comme la mafia, et développe ses activités contre de l’argent. Il procède également à des enlèvements contre des rançons », confirme Maxwell B. Markusen.
« Par ailleurs, l’EI peut utiliser sa propagande pour avancer le retrait des États-Unis comme une victoire. Ensuite, la cessation des frappes aériennes contre l’État islamique permettra au groupe de se réformer et de se réorganiser », insiste-t-il. « Même sans ce retrait, le groupe aurait probablement tenu encore de nombreux mois en tant qu’entité organisée, capable de défendre ce qu’il possédait encore. Avec son ennemi le plus redoutable quittant la mêlée, l’EI pourrait bien renaître », nuance quant à lui le quotidien britannique The Guardian.
Encore une fois, l’EI, bien qu’extrêmement affaibli, n’est pas totalement rayé de la carte syrienne.
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