Les Etats-Unis quittent la Syrie, Daech est-il vraiment «vaincu» ?
Si le président américain a annoncé mercredi avoir «vaincu le groupe Etat islamique» en retirant les forces américaines de l’est de la Syrie, Daech reste présent et la victoire de Bachar al-Assad se profile.
«Nous avons vaincu le groupe Etat islamique en Syrie, la seule raison pour moi pour laquelle nous étions présents pendant la présidence Trump.» C’est par ce tweet, publié mercredi après-midi, que Donald Trump a annoncé le retrait des forces américaines de l’est de la Syrie. Environ 2000 soldats américains, essentiellement des forces spéciales, sont déployés dans cette région contrôlée par les Kurdes. L’annonce a fait bondir jusque dans les rangs républicains. Un retrait aurait des «conséquences dramatiques» pour les Etats-Unis dans la région et dans le monde, a déclaré le sénateur Lindsey Graham. «Il constituerait une grande victoire pour l’Etat islamique, l’Iran, Bachar al-Assad et la Russie», a-t-il ajouté. La Maison Blanche a indiqué que le retrait se ferait dans les 60 à 100 jours. La semaine dernière, l’émissaire des Etats-Unis pour la coalition internationale, Brett McGurk affirmait : «Personne ne déclare mission accomplie […] Nous avons bien entendu appris beaucoup de leçons dans le passé, donc nous savons qu’une fois que les territoires sont libérés, on ne peut pas simplement plier bagage et partir.»
L’Etat islamique est-il vaincu comme l’assure Donald Trump ?
Non. Daech est toujours installé dans le sud-est syrien où il contrôle les villages de Soussa et Al-Chaafa, ainsi que dans des poches désertiques à proximité de la frontière irakienne. Environ 2000 jihadistes y seraient retranchés, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Parmi eux figurent des étrangers, dont des Français. C’est probablement dans cette zone que se cachent Fabien et Jean-Michel Clain, les deux frères qui avaient revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis.
Ce sont les Forces démocratiques syriennes (FDS), coalition de combattants kurdes et arabes, qui les affrontent. Elles sont soutenues par les avions et les drones de la coalition internationale. Des soldats occidentaux sont également déployés au sol et des forces spéciales françaises participent aux combats en première ligne. Les affrontements sont redoutables. Il a fallu trois mois pour finir par chasser, jeudi, Daech de la ville de Hajine. Les FDS ont perdu près de 550 hommes et un peu moins de 1000 jihadistes ont été tués. «Daech conserve des positions territoriales dans l’est du pays. Leur reprise par les Forces démocratiques syriennes avec le soutien de la coalition est l’absolue priorité», déclarait mardi le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Quelles sont les conséquences pour les Kurdes ?
Dramatiques. La Turquie annonce depuis plusieurs jours l’imminence d’une offensive «à l’est de l’Euphrate». Elle considère le PYD (Parti de l’union démocratique), une émanation du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui contrôle la région, comme un groupe terroriste et refuse que sa branche armée soit déployée le long de la frontière. L’armée turque et les groupes rebelles syriens placés sous sa coupe s’étaient déjà emparés au printemps de la ville d’Afrine, située non loin d’Alep.
Une offensive turque aurait été rendue compliquée, voire impossible, par la présence de forces américaines dans la zone, surnommée Rojava par les Kurdes. «Les Etats-Unis ont cédé aux exigences d’Erdogan. L’invasion turque est imminente. La coalition doit nous donner les moyens de nous défendre. Sinon, Daech se réinstallera et les pays européens, dont la France, seront à nouveau attaqués», assure Khaled Issad, représentant du Rojava en France.
Quelles conséquences sur le terrain syrien?
Pour le régime de Bachar al-Assad, c’est une consécration de sa victoire qui se profile. Un retrait américain ouvre la voie à une reconquête de la quasi-totalité du territoire syrien. Grâce à l’appui militaire massif et décisif de la Russie, il a repris depuis deux ans les zones contrôlées par la rébellion syrienne, à l’ouest et au sud, hormis la province d’Idlib. La reconquête de la moitié est du pays qui lui échappait jusque-là peut désormais être envisagée. En premier lieu tous les territoires de l’ancien califat de l’EI, la région de Raqqa et Deir el-Zor «libérées» par la coalition internationale. D’autant que les combattants des Forces démocratiques syriennes devraient remonter vers le nord pour défendre le Rojava face à l’attaque turque imminente. Le choix déjà tenté par les Kurdes pourrait être une entente avec le régime de Bachar al-Assad qui leur laisserait une marge d’autonomie. Mais Damas et Ankara pourraient aussi conclure une alliance opportuniste pour éreinter ensemble toutes velléités d’autonomie kurde.
Ce retrait constitue «une décision de courte vue et naïve», estime Charles Lister, directeur du programme «Contre-terrorisme et extrémisme» au Middle-East Institute à Washington qui a réagi très vite à la décision de Trump. «Pour les alliés comme pour les adversaires des Etats-Unis, il s’agit bien d’un “retrait” et non d’une “victoire”. Sur le plan géopolitique c’est un scénario de rêve qui se dessine pour l’EI, la Russie et le régime Assad qui sont tous bénéficiaires de la décision de Trump.» Peu avant, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères russe avait dit que la présence américaine en Syrie était devenue «un obstacle à une solution pacifique» accusant Washington de maintenir ses troupes de façon illégale.
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