Whether Addressing a Child or Head of State, Trump Uses the Same Register

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Traduire les propos du président américain a fini par arracher un livre énervé et inquiet à l’interprète Bérengère Viennot, qui se heurte à son vocabulaire borné et à son absence totale de syntaxe. Ce discours dyslexique et déviant ne serait qu’une diversion, un symptôme d’un fait politique bien plus grave.

«Trump utilise le même registre, qu’il s’adresse à un enfant ou à un chef d’Etat»

Traductrice pour la presse, Bérengère Viennot relate le cauchemar professionnel auquel elle est confrontée depuis l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Pour des journaux et sites français, elle traduit de nombreux articles sur l’actualité politique américaine, qui reprennent notamment les fameux tweets présidentiels. La Langue de Trump (Arènes) est un livre coup de sang, et aussi très drôle.

Quelle a été votre réaction au lendemain de l’élection de Donald Trump le 8 novembre 2016 ?

Comme une interminable gueule de bois. Cette élection pose un problème de représentation, puisqu’il a été élu avec 3 millions de voix de moins que Hillary Clinton. Un autre problème est que, outre son parti, il a été soutenu par de nombreux Américains qui, jusque-là, ne s’étaient jamais sentis représentés auparavant, et qui iront revoter pour lui, sauf en cas de destitution. Cette base électorale existe, et je pense qu’elle ne disparaîtra pas avec Trump. Le vrai problème n’est donc pas le président américain lui-même, mais ce qu’il représente. On ne peut continuer à commenter sa présidence juste en s’offusquant qu’il fasse livrer des burgers à la Maison Blanche lors de réceptions officielles. Ce sont des manœuvres de diversion. Trump a ouvert une vanne aux Etats-Unis, mais c’est aussi le cas au Brésil ou en Hongrie.

Vous citez le psychologue Ben Michaelis qui note une baisse de niveau dans l’expression de Trump au fil du temps… Faites-vous le même constat depuis le début de la présidence ?

Je n’ai pas remarqué de grandes dégradations ces deux dernières années. Et cela me paraît à peine envisageable : sa langue était complètement destructurée dès le début de sa présidence. Pas de syntaxe, très peu de vocabulaire, des phrases inachevées… Cela me contraint à le traduire comme je le ferais avec de la littérature, en m’adaptant à un contexte très particulier, sans tenir compte du cadre politique dans lequel on traduit habituellement les paroles de personnalités politiques. Il n’existe aucun vrai contexte politique à son discours. Avec lui, on repart de zéro à chaque discours.

Cela transparaît-il dans toutes ses interventions, qu’elles soient spontanées ou plus préparées ?

Oui, il est toujours dans l’oralité, jamais dans l’écrit. Il utilise le même registre, qu’il s’adresse à un enfant ou à un chef d’Etat. Je pense que s’il était francophone, il tutoierait tout le monde. Il est incapable d’empathie sociale, il ne peut pas se mettre à la place de son interlocuteur.

Vous avez évidemment un jugement très sévère envers le langage très pauvre de Trump. Mais n’y a-t-il pas un effet de contexte, au sens où les Français attendraient de leurs hommes politiques un langage plus châtié ?

Les élites françaises sont beaucoup plus formatées, il faut sortir de l’ENA. Mitterrand et De Gaulle écrivaient des livres, Macron utilise des expressions désuètes, le «casse-toi pauvre con» de Sarkozy n’est qu’un accident. Aux Etats-Unis, l’homme politique peut être un self-made-man qui n’a pas fait de longues études et qui doit se montrer proche des gens. Surtout, la politique doit être un show. Le débat télévisé de la campagne entre Hillary Clinton et Donald Trump en était une bonne illustration. Les deux candidats se tenaient debout sur un plateau, sans se regarder. Trump se montrait presque menaçant physiquement envers Clinton. En grand habitué des reality shows, il a gagné. Pourtant, elle parlait bien mieux que lui, mais ce n’est pas ça qui comptait. Le discours est secondaire.

Les discours de Trump sont souvent analysés sur la forme. Vous semblez plus inquiète sur le fond…

On ne s’inquiète pas assez de tout ce qui est libéré à chaque parole, comme le racisme suggéré dans beaucoup de ses propos. Les minorités incriminées ne devraient pas être les seules à s’en alarmer. Ce travail d’analyse manque. Ainsi, lorsque Trump a reçu il y a quelques semaines une équipe de football américain à la Maison Blanche en leur servant des burgers achetés au fast-food, la presse américaine a critiqué le fait qu’un président fasse entrer la malbouffe à la Maison Blanche ! Or on était en plein shutdown, les fonctionnaires n’étaient plus payés depuis vingt-six jours. Le FBI venait de lancer une enquête à cause d’un soupçon de plus en plus sérieux de collusion avec la Russie. Cette histoire de burgers n’aurait jamais dû faire les gros titres durant une période politique aussi folle. C’est une faute des médias mais aussi des démocrates, qui doivent s’interroger : pourquoi son discours passe-t-il si bien auprès de son électorat ? Il semble qu’il existe une césure de plus en plus importante entre les analystes et ceux qui écoutent.

Les propos de Trump permettent tout de même de l’inscrire politiquement. Il marque parfois sa proximité avec les Tea Parties…

Les Tea Parties sont une référence historique qui n’est pas anodine. Au XVIIIe siècle, ce sont des opposants à l’impôt britannique qui jettent les sacs de thé anglais dans la baie de Boston. Mais il ne s’agit pas que d’un mouvement d’émancipation contre la puissance coloniale : les membres du Boston Tea Party étaient déguisés en Indiens afin que la faute retombe sur ces derniers. La référence est donc loin d’être innocente. Mais il faut tout de même dire que Trump a une grande ignorance de l’histoire de son pays – ce qui ne semble pas gêner grand monde. Une fois de plus, les propos qui le rapprochent des Tea Parties semblent plus opportunistes qu’idéologiques.

La fin de votre livre, très virulente, explique que le ver était dans le fruit dès les origines historiques, avec un lien direct entre les Pères pèlerins et Trump. Quid de Barack Obama ?

Par sa réussite, Obama incarne une partie du rêve américain : il a été élu au poste suprême bien que noir. Il incarne une émancipation. Il incarne aussi probablement un processus en marche que les Blancs américains rejettent ou ne veulent pas voir : l’émergence des minorités. Le mouvement est là, mais les sursauts sont virulents. Aussi, je pense qu’Obama est surtout une exception, un accident dans l’histoire, et que s’ils étaient là aujourd’hui, les Pères pèlerins seraient derrière Trump. Là encore, s’ils nous semblent incarner la liberté vis-à-vis de l’Angleterre, ce sont aussi ceux qui ont lancé la conquête du pays au détriment des Indiens. Aujourd’hui, ils seraient donc sans doute contre l’avortement, pro-armes, défenseurs d’un esprit pionnier où l’on se fait tout seul en ne devant rien à personne.

Reste tout de même un point positif : avec Trump, on sort de la langue de bois…

La langue de bois est aussi très ennuyeuse pour une traductrice, elle est beaucoup plus fréquente et permet de ne prendre aucun risque et de n’aborder vraiment aucun sujet. C’est plus confortable pour tout le monde, mais est-ce que cela ne mène pas finalement à l’élection d’un Trump ?

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