Depuis deux ans, Donald Trump a réussi un exploit politique remarquable. On peut lui reprocher de ne gouverner qu’en fonction de sa base partisane et non pour l’ensemble de la population américaine. Mais ce faisant, il s’assure du soutien indéfectible de ses partisans. Si l’administration Trump n’a jamais obtenu des taux d’approbation dépassant les 50 %, le président a toujours maintenu un appui populaire d’au moins 35 %.
La résilience de ses partisans est vraiment remarquable. Ils ne semblent pas être influencés par les révélations quotidiennes entourant le Russiagate, les scandales touchant l’administration Trump, le comportement de menteur pathologique du président ou sa gouvernance erratique, de nouveau démontrée par la paralysie prolongée du gouvernement.
Un seul de ses phénomènes aurait provoqué chez tout autre président une chute irrémédiable de son taux d’approbation. Or, la base partisane de Trump ne flanche pas, peu importe la nature des controverses entourant le président. Comment pouvons-nous expliquer ce phénomène inusité?
Il serait facile de conclure, comme beaucoup de commentateurs politiques américains le font, que les partisans sont ignorants, naïfs politiquement, crédules ou simplement stupides. Une telle explication est beaucoup trop facile. La réalité est beaucoup plus complexe.
Une première explication découle du fait que la perception de la réalité politique américaine des partisans de Trump est largement alimentée par la chaîne de nouvelles continues Fox News et le réseau d’extrême droite Breitbart. Ces deux médias d’information très partisans soutiennent inconditionnellement Donald Trump et corroborent la perception que tous les scandales et révélations scabreuses entourant le président ne sont que de « fausses nouvelles » colportées par les médias traditionnels.
En somme, les partisans de Trump subiraient une sorte de lavage de cerveau. Une telle explication n’en demeure pas moins incomplète. Des politologues ont tenté le coup. Ils ont fabriqué de « fausses nouvelles » et cherché à alimenter des groupes libéraux. Cela n’a pas fonctionné. L’expérience n’a jamais décollé. Ces derniers ont démystifié immédiatement le stratagème.
En contrepartie, les mêmes politologues ont noté que les partisans de Trump agissaient comme s’ils sont disposés à accepter n’importe quelle fausse nouvelle, sans se demander si elle est vraie ou fausse. D’ailleurs, dans un article de décembre 2016, le Washington Post s’interrogeait déjà sur ce phénomène : « Pourquoi les conservateurs risquaient-ils davantage de tomber dans le piège des fausses informations? »
Mais contrairement à l’impression généralement véhiculée, les partisans de Trump ne proviennent pas en majorité d’une classe ouvrière non éduquée qui serait sensible à la rhétorique populiste du président sur la perte d’emplois industriels et la concurrence provenant des immigrants. Les travailleurs à faible revenu ont toujours tendance à voter en majorité démocrate.
En fait, la majorité des partisans de Trump sont des hommes blancs, ayant une éducation collégiale ou universitaire et gagnant un salaire annuel entre 50 000 et 200 000 dollars. En somme, les partisans de Trump font partie de la classe moyenne blanche. Comment des gens éduqués peuvent-ils faire preuve d’une si grande ignorance politique, adhérer à sa rhétorique populiste, rejeter les faits pourtant évidents et accepter aveuglément les mensonges du président?
Pour expliquer ce soutien indéfectible, Dan Kahan, un professeur de droit et psychologie à Yale, a recours à la théorie de la projection de la cognition culturelle. Selon cette théorie, les faits comptent beaucoup moins que la recherche d’identité, les valeurs partagées et les cercles sociaux dans lesquels les individus gravitent.
Selon Kahan, les individus ont tendance à conformer leurs convictions sur des questions controversées à des valeurs définissant leurs identités culturelles. Ce faisant, ces individus peuvent adopter des opinions politiques totalement fausses tout en croyant sincèrement que celles-ci reposent sur des faits réels.
Plus encore, Kahan soutient que le concept d’honnêteté comprend un tel enchevêtrement de croyances, de vœux pieux et de stéréotypes que « l’adhésion d’un candidat à des faits empiriques n’est pas vraiment pertinente pour estimer son honnêteté ». Or, comme Trump se moque allégrement d’une rectitude politique basée sur des faits, beaucoup d’individus trouvent son comportement comme étant franc et authentique, le confondant ainsi avec l’honnêteté.
En conséquence, les individus, surtout ceux qui sont plus inquiets, limitent « leurs sources d’information à celles qui complètent leurs zones de confiance » et cherchent à remodeler la réalité selon leur besoin. En somme, les partisans de Trump continuent de mordre à l’hameçon et à gober les « fausses nouvelles » propagées par le président, parce que son discours les rassure dans leur identité culturelle.
Kahan confirme ainsi la théorie de l’auto-illusion utilisée en psychanalyse, selon laquelle les individus développent des processus inconscients pour dissiper leur peur et leur anxiété devant une réalité dérangeante. Or dans la défense de leur identité, ils ont tendance à identifier un dirigeant particulier et à l’idéaliser. Dans ce processus d’idéalisation, ils auront tendance à surestimer ses qualités et à sous-estimer ses défauts. Ce faisant, ils projettent leurs besoins et leurs désirs sur cette personne.
Le soutien inconditionnel manifesté par ses partisans peut donc être expliqué dans une perspective d’auto-illusion. Ils enterrent de manière efficace les vérités désagréables dans un processus de défense psychologique. Or, Trump a su habilement jusqu’ici comment nourrir les peurs de ses partisans à son propre profit.
Comme Henrik Ibsen l’affirmait à la fin du 19e siècle, les individus se fabriquent des mythes pour remplacer des réalités inquiétantes. C’est ce qu’il appelait le « mensonge vital ».
Gilles Vandal est professeur émérite à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.
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