Depuis 2016, j’essaie d’avertir du danger d’un retour à la guerre froide. Avec toutes ses conséquences, y compris celle d’un conflit armé entre la Russie et les États-Unis, dont l’Europe serait évidemment la première victime.
En octobre 2018, le président américain affirmait que la Russie violait le traité INF (pour Intermediate-range Nuclear Forces treaty) signé en 1987 par Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan. Ce traité – pièce essentielle de la détente militaire entre les blocs Est-Ouest – fut l’un des nombreux accords conclus entre les deux grandes puissances de l’époque pour permettre le passage en douceur à un monde nouveau et pacifique. Deux ans avant la chute du mur de Berlin, l’Europe cessait d’être le théâtre d’un affrontement qui menaçait ses populations, depuis des générations. C’était le grand soulagement. Nos enfants enfin n’allaient plus vivre avec la peur au ventre d’une guerre nucléaire programmée par leurs aînés. C’était le vivre ensemble et sans peur, dans toute l’Europe.
Or, voici qu’en octobre 2018 surgit un événement majeur et pourtant à peine mentionné dans notre presse. Il est alors affirmé depuis Washington que les Russes violent le traité de 1987 et que les États-Unis se retireront dudit traité dans le délai (six mois) fixé par le texte signé il y a 31 ans.
Les Américains, croit-on savoir, n’ont aucun doute sur ce que font les Russes en violation de l’accord bilatéral INF. Pour eux, c’est clair : les Russes produisent des missiles de portée moyenne (de 500 à 5.500 km) pourvus de têtes nucléaires. Le 1er février 2019, le Secrétaire d’état, Mike Pompeo, confirme que les États-Unis se retireront du traité. Il précise que Moscou pourrait éviter cela en cessant immédiatement de fabriquer des missiles prohibés par le traité de 1987. Certains imaginent que les Russes – comme à l’époque de Boris Eltsine – accepteront de se plier à cet ultimatum. Naïveté ! Le lendemain, soit le 2 février 2019, la télévision russe diffuse un programme où l’on voit et écoute Poutine entouré de son ministre des affaires étrangères, S. Lavrov et de celui de la défense, S. Shoigu. Cette réunion est complétée le 3 février par des commentaires officiels formulés par le journaliste vedette Dimitri Kiselyov. De ces interventions hautement médiatisées à Moscou, il faut retenir que Poutine a décidé de suspendre, à son tour, le traité de 1987. En outre, le président russe refuse l’ultimatum américain, tout en précisant qu’il est prêt à négocier seulement après que ses partenaires, ayant muri, soient disposés à discuter sur des bases équitables.
En fait, les Russes accusent les Américains d’avoir, eux-mêmes, violé le traité INF, dès 1999 en produisant des drones militaires comparables aux missiles de croisière et, en 2014, en installant des bases de missiles en Pologne et en Roumanie.
Les propos du Kremlin diffusés les 2 et 3 février 2019 doivent être pris très au sérieux. Ils répondent à ceux venant de Washington, immédiatement soutenus par les États membres de l’OTAN. Le complexe obsidional de la Russie encerclée depuis la fin du siècle dernier par une alliance militaire de plus en plus forte (30 États, bientôt, après l’imminente adhésion de la république de Macédoine du nord) n’est pas un caprice. L’affaire de la suspension du traité INF est porteuse de graves dangers. Il serait raisonnable que les hauts responsables, surtout européens, prennent toute la mesure des périls éventuels d’une nouvelle et rapide escalade dans la dégradation des relations entre la Russie et l’Ouest. À quatre mois des élections européennes, il me semble utile que les peuples de l’UE soient correctement informés sur ce sujet très important. Le danger d’une guerre est au moins aussi sérieux, et peut-être plus proche, que celui du réchauffement de la planète. Continuer de s’opposer à la Russie, systématiquement et en suivant aveuglément ce qui se décide outre-Atlantique, est une politique à courte vue, dépourvue de bon sens.
Comme disait jadis P-H Spaak, Il n’est pas trop tard. Mais, il est temps.
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