Kim and Trump Meet, Act II

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À défaut d’écrire l’Histoire lors du sommet des 27-28 février, et de conclure un accord substantiel de désarmement vérifié du stock d’armes nucléaires nord-coréen, le président des États-Unis et le dirigeant de la Corée du Nord monopoliseront l’attention médiatique.

Il faudra peut-être se contenter du fait que, tant qu’ils se parlent et offrent un bon spectacle, ils ne menacent pas mutuellement de se détruire. Car il y a loin de la coupe aux lèvres… à commencer par le fait qu’il n’y a pas pour l’instant de déclaration commune sur l’inventaire du stock dont dispose Pyongyang. Dès lors, à moins d’une surprise de taille, il faut s’attendre à la répétition du premier sommet, à Singapour : une déclaration de principes assortie de séances photo et d’une conférence de presse où les leaders se targueront d’avoir écarté toute menace de guerre, renvoyant à leurs aides le devoir de faire aboutir un hypothétique accord.

D’un côté, le leader nord-coréen est mû par la volonté de faire baisser la pression et d’éliminer les sanctions contre son régime. De l’autre, le président des États-Unis cherche à tout prix à (au moins) donner l’impression de gagner : il pourra aller jusqu’à crier victoire même s’il a concédé des gains à la Corée du Nord… Bref, ce sommet se déroulera entre réalité et monde alternatif — ce qui en soi n’est pas nouveau sous cette présidence. Or la nouveauté du sommet est ailleurs et réside dans le choix du Vietnam.

Le retour du Vietnam ?

L’annonce d’un nouveau sommet entre Trump et le leader nord-coréen au Vietnam a pour effet de remettre à l’avant-scène des relations internationales un pays qui en avait été éclipsé depuis la fin de la guerre dans ce pays et les années 1970. Ce choix est symbolique et loin d’être anodin.

La géographie de la région offre une première explication. Baptisé Chammae 1, du nom de l’autour des palombes (oiseau de proie emblème aviaire de la Corée du Nord), l’Iliouchine 62 à bord duquel Kim Jung-un effectue ses rares déplacements à l’étranger est nommé par dérision « Air Force un ». Les performances de cet appareil vieillissant peuvent expliquer le choix du Vietnam, plus proche de la Corée du Nord que Singapour — où le sommet de juin 2018 s’était tenu alors que la cité État se situait à la limite du rayon d’action de l’avion. Alors que la Corée du Sud, la Chine et le Japon sont plus proches géographiquement, seul le Vietnam présentait l’avantage d’une accessibilité politiquement acceptable.

Certes, le Vietnam est un pays communiste, et à cet égard il est très loin d’être un allié de Washington. Les effets de la guerre qui les a opposés ne se sont pas encore dissipés, mais les deux États ont récemment normalisé leurs relations, et tant Obama que Trump ont visité le Vietnam. De l’autre, sans être un allié officiel de Pyongyang, le régime de Hanoï est loin d’y être farouchement opposé et n’en est que peu critique sur la scène internationale. En acceptant de tenir le sommet dans un pays communiste mais avec lequel les États-Unis ont aplani leurs différences, les protagonistes du sommet cherchent à montrer leur ouverture au dialogue.

L’ombre de la Chine ?

Un autre facteur est lié à la puissance chinoise. Alliée traditionnelle et quasi inconditionnelle de la Corée du Nord, sa présence se fait continuellement sentir à l’arrière-plan de toute négociation entre Pyongyang et Washington. Or les relations de Beijing avec Hanoï sont particulièrement tendues. Le contentieux territorial en mer de Chine méridionale oppose farouchement les deux pays : le Vietnam, s’il n’est pas le seul opposant à la Chine dans ses revendications dans la région, est le seul qui tienne tête à son puissant voisin. Ainsi, alors que les Philippines de Duterte ont choisi la voie du compromis, en dépit d’un jugement qui leur est favorable de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye en 2017, le Vietnam est de plus en plus isolé dans ce dossier. Et cet isolement s’est accru avec l’influence croissante de Beijing au sein de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est. Dans un tel contexte, la tenue du sommet sur son territoire peut être interprétée comme un coup de pouce diplomatique au Vietnam.

Mais il s’agit peut-être bel et bien, plus que d’un appui au Vietnam, d’un positionnement américain qui s’inscrit dans la lignée de la guerre économique que se livrent les États-Unis et la Chine et des récentes critiques formulées par Washington sur les actions de Beijing en mer de Chine du Sud. Plus encore, au-delà de la guerre tarifaire, les États-Unis définissent leur politique asiatique actuelle autour d’une « région Indo-Pacifique libre et ouverte » (free and open Indo-Pacific). Dès lors, la démarche diplomatique envers la Corée du Nord peut être vue comme relevant de cette politique, et le fait de remettre la République socialiste du Vietnam à l’avant-scène va dans le même sens, notamment pour contrer, même minimalement, l’influence de la Chine dans la région.

Ce sommet des 27 et 28 février a donc des implications géopolitiques qui dépassent les questions nucléaires et le sort de la Corée du Nord et, en cela, il comporte autant d’occasions favorables que de risques de dérapage. Car la Chine est l’acteur de fond dans ce dossier, bien plus que les États-Unis ou que la Corée du Sud. Et au final, il se pourrait que le véritable gagnant de ce sommet soit en fait le Vietnam, avec son retour dans l’arène internationale.

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