FIGAROVOX/ENTRETIEN – Jean-Eric Branaa analyse les enjeux derrière la récente annonce de candidature à la présidentielle pour le Parti démocrate de Beto O’Rourke. Il interroge également l’état du Parti démocrate, l’hypothèse Michelle Obama, et rappelle la popularité de Donald Trump.
Aux États-Unis, Beto O’Rourke se lance dans la course à la Présidentielle, les premiers sondages d’opinion le placent régulièrement en bonne position parmi de nombreux candidats. Est-ce un tournant dans la course à la Présidentielle?
Jean-Eric BRANAA.- À 46 ans, Beto O’Rourke pourrait en effet prendre le statut d’étoile montante du Parti démocrate. Car si les candidats sont déjà très nombreux sur la ligne de départ (déjà 15), son profil se distingue de ceux de tous ses concurrents directs. Inconnu du grand public voici à peine un an cet ancien élu de la Chambre des représentants, avec un CV politique plutôt maigre a réussi à se faire un nom au plan national en manquant de faire chuter de peu l’ancien candidat à la présidentielle Ted Cruz, lors des élections sénatoriales qui se sont déroulées au Texas en 2018. Le démocrate a fait sensation dans cet État du sud, tellement ancré à droite, pour ne pas dire ultraconservateur, que personne n’imaginait il y a encore très peu qu’il puisse basculer. Sa technique a été pour le moins étonnante car il a parcouru chacun des 254 comtés du grand État du sud américain, ce que personne n’avait jamais fait avant lui. Il est donc crédible aujourd’hui lorsqu’il affirme qu’il fera une campagne près de gens, même s’il lui sera bien sûr impossible de visiter tous les districts électoraux des États-Unis!
La deuxième carte forte de Robert Francis (son vrai prénom) O’Rourke est qu’il refuse de recevoir des dons de comités d’action politique, ces antichambres des lobbyistes, ou des grandes corporations: il veut rester libre de ses choix et ne rien devoir à personne. C’est donc grâce aux petits dons qu’il veut faire campagne, exactement comme Bernie Sanders. Comme lui, il est également favorable à la limitation de la durée du mandat du Congrès, évite les consultants externes et préfère s’appuyer sur un travail de terrain. Il ne manque pas non plus de charisme d’autant que, alors qu’il aura 48 ans en 2020, il semble en avoir 10 ans de moins.
Il n’est pas impossible qu’il soit reproché à Beto O’Rourke d’être un homme blanc de plus de quarante ans… donc en réalité un peu comme tous les autres.
O’Rourke est un ancien rocker-punk, qui parle simplement et sans faire de longues phrases, et cite même parfois son groupe préféré, les Clash, et ça le rend populaire. Il parle aussi couramment l’espagnol et peut donc faire la différence auprès d’un électorat hispanique qui se cherche toujours un porte-parole crédible. Beaucoup disent qu’il ressemble à un Kennedy et d’autres le comparent à un Obama blanc. Dans les deux cas, voilà des comparaisons qui déplaisent au camp républicain, qui a déjà commencé une campagne agressive contre lui, avec des clips qui sont déjà diffusés dans l’Iowa et qui expliquent pourquoi il n’a rien à voir avec ces anciens présidents. Tout en évitant de verser dans la rhétorique anti-Trump systématique, il s’est tout de même dit favorable à une destitution du président et se dit prêt à l’affronter. Il parle à la fois aux centristes, parce qu’il est lui-même modéré, mais également aux plus progressistes, car il a su défendre plusieurs des options qui leur sont chères, comme l’idée d’un protection-santé pour tous, des restrictions du port d’armes, de la défense des droits des femmes, de l’avortement ou du mariage gay. Plus encore, on l’a vu s’agenouiller, en solidarité avec les joueurs de football qui refusaient de rester debout pendant l’hymne national.
Donald Trump aime se moquer de lui, en l’appelant le perdant, le «loser» en référence à sa défaite face à Ted Cruz en novembre dernier. Beto O’Rourke assure qu’il n’évitera pas la confrontation, même si elle est virile. Mais, justement, voilà sa faiblesse: il y a un peu trop de testostérone dans une telle affiche, alors que le Parti démocrate se cherche une nouvelle identité: il n’est pas impossible qu’il soit reproché à Beto O’Rourke d’être un homme blanc de plus de quarante ans… donc en réalité un peu comme tous les autres.
Où en est le Parti démocrate, à quelques mois du début de la prochaine campagne présidentielle?
Le Parti démocrate est plutôt dans une position difficile. Trop occupé à une lutte totale «de résistance» à Donald Trump, il a négligé les fonctions essentielles qui sont pourtant les siennes: construire un programme qui réponde à une attente générale de la population et à ses difficultés, sans négliger de se trouver en même temps un leader incontestable et incontesté. Le résultat est qu’il y a désormais un trop-plein de candidats, chacun étant persuadé «qu’il peut y aller» et l’emporter, puisque l’actuel locataire de la Maison-Blanche a fait exploser tous les codes politiques qui prévalaient pour ce scrutin.
Il est aussi rapidement devenu clair que la colère contre l’establishment politique qu’a porté Donald Trump ne s’est pas limitée au camp républicain: elle s’est également manifestée au sein de l’électorat démocrate. C’est sur ce terreau que s’était développée la popularité de Bernie Sanders, et que le libéralisme — au sens américain, c’est-à-dire une pensée très à gauche —, a plus largement progressé qu’elle ne l’avait jamais fait en cinquante ans. Du salaire minimum à l’oléoduc Keystone XL, en passant par l’idée d’une sécurité sociale universelle ou la gratuité dans les études, les candidats au Congrès soutenus par le Parti démocrate ont porté des messages ambitieux, tels qu’on ne les entendait plus dans les campagnes locales. C’est bien la poursuite de cette campagne de 2016 qui s’est ensuite jouée au sein de la gauche américaine, beaucoup étant toujours persuadés que ces thématiques auraient dû l’emporter, s’il y avait eu d’autres règles. Le Parti a donc lentement basculé sur sa gauche et les progressistes ont fait une percée remarquée lors des élections de mi-mandat en 2018.
La notoriété de Michelle Obama est immense et beaucoup pensaient que cela pouvait lui permettre, non seulement de poursuivre dans les causes qui lui tiennent à cœur, mais aussi de les prolonger par l’action politique.
Tout cela porte en germe un danger d’implosion qui se fait de plus en plus fort. Face à des tensions internes que le Parti ne peut plus cacher, les plus anciens reprennent les rênes et proposent d’accompagner ce virage idéologique: lors de son discours qui a immédiatement suivi son élection au perchoir de la Chambre, Nancy Pelosi a annoncé sans attendre une grande loi sur l’éthique en politique, qui a été finalement votée voici deux semaines, même s’il n’y a quasiment aucune chance pour que le Sénat valide ensuite une telle proposition. Peu importe d’ailleurs, car la symbolique était trop forte et la volonté des progressistes devait être entendue, pour être calmée, un peu, avant qu’elle ne s’exprime à nouveau pendant cette campagne qui s’ouvre.
Même au niveau des promesses, le Parti semble en peine à s’accorder et, là encore, les gauchistes s’accordent avec Donald Trump non seulement sur le constat, mais aussi sur la méthode de la dénonciation forte: la majorité des démocrates déclarent vouloir une assurance-maladie pour tous, mais les plus centristes, redevables des industries de l’assurance et des hôpitaux qui ont largement financé leurs campagnes, se contentent de vouloir modifier l’Obamacare ; ils ne soutiennent la couverture universelle que du bout des lèvres, par un mécanisme vague, et très incertain. Ceci n’est qu’un exemple des dissensions qui vont rapidement prendre beaucoup d’importance, car le grand nombre de candidats va obliger les uns et les autres à parler de plus en plus fort pour espérer émerger. Cela ne pourra se faire qu’au détriment des autres candidats de leur propre camp, et sous les yeux de Donald Trump, qui n’attend que ça. Déjà, certains y ont laissé des plumes ou n’ont pas pu entrer dans la course car leur profil était devenu indésirable, comme l’ultra-milliardaire Mike Bloomberg.
Michelle Obama candidate: perspective crédible ou rumeur sans fondements?
À deux ans de l’élection, alors que tous les candidats possibles commencent à faire entendre leur voix, c’est vrai que l’hypothèse de la candidature de l’ancienne première dame s’est fait entendre avec de plus en plus de force, en particulier depuis que Michelle Obama a replongé dans la sphère publique et politique avec un livre intitulé «Devenir». Il faut dire que l’atmosphère est véritablement électrisée actuellement et que l’on voit des candidats partout: il n’en fallait pas plus pour considérer qu’il pouvait y avoir une volonté clairement affichée de se lancer sur les mêmes chemins que son mari, tout comme l’avait fait avant elle Hillary Clinton. On sait bien que le 22e amendement empêche Bill Clinton ou Barack Obama, qui ont tous les deux déjà effectué deux mandats, de songer à nouveau au Bureau ovale… rien n’interdit toutefois que les anciennes Premières dames ne tentent l’aventure à leur tour. La tournée dans dix grandes villes américaines qui a été organisée après la sortie du livre n’a pas calmé les passions, bien au contraire.
Les chances de Donald Trump sont fortes pour tout un ensemble de raisons, autant structurelles que liées à ses résultats.
La notoriété de Michelle Obama est immense et beaucoup pensaient que cela pouvait lui permettre, non seulement de poursuivre dans les causes qui lui tiennent à cœur, mais aussi de les prolonger par l’action politique. C’est Barack Obama lui-même qui a expliqué que cela n’arriverait pas, lors d’une réunion publique quand on lui demandait si sa femme pourrait à son tour devenir présidente des États-Unis: «Il y a trois choses qui sont absolument certaines dans la vie: la mort, les impôts et le fait que Michelle ne sera jamais candidate à la présidence des États-Unis», a-t-il assuré.
Quelles sont les chances de Donald Trump pour 2020? Comment les Américains le considèrent-ils?
Les chances de Donald Trump sont fortes pour tout un ensemble de raisons, autant structurelles que liées à ses résultats. Ses atouts sont beaucoup plus nombreux qu’on ne veut nous le dire. Le premier d’entre eux, bien évidemment, c’est qu’il est le président sortant: cet avantage est tellement puissant que quasiment tous les présidents sortants sont réélus. Bien sûr, cela n’a pas été le cas avec George H. Bush, mais c’est parce qu’il y avait un troisième homme, Ross Perot, qui a siphonné ses voix. Dans le cas de Carter, c’est la crise iranienne et le deuxième choc pétrolier qui ont précipité sa défaite. Donald Trump peut aussi s’appuyer sur un socle solide, qui ne varie pas et lui reste fidèle, quels que soient les événements en cours dans son pays. Il ne fait aucun doute que cette stabilité hors norme restera un des marqueurs de sa présidence, et qu’on va l’étudier et l’analyser pendant très longtemps: il reste imperturbablement entre 42% et à 44% de bonnes opinions.
Chômage, inflation, création d’emploi, indice de la croissance : il ne cesse d’enregistrer des bons résultats et ses opposants ont cessé de le critiquer sur ce plan-là, surtout pour ne plus attirer l’attention sur ces indices.
Mais, surtout, il y a l’économie américaine qui porte sa candidature. Faut-il rappeler tous ces bons chiffres qui ne cessent de surprendre tout le monde? Chômage, inflation, création d’emploi, indice de la croissance: il ne cesse d’enregistrer des bons résultats et ses opposants ont cessé de le critiquer sur ce plan-là, surtout pour ne plus attirer l’attention sur ces indices.
Et pourtant, il ne faut pas négliger le grain de sable, celui qui fait chuter, même quand on ne s’y attend pas. Or, lorsqu’on regarde la scène politique américaine on découvre qu’il y a en réalité de nombreux grains de sable sur le chemin de ce nouveau scrutin. Donald Trump semble bien parti mais il est loin de pouvoir clamer sa victoire avant le combat. L’élection 2020 nous réserve à coup sûr beaucoup de surprises.
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