Trump tire une balle dans le pied de la diplomatie US au Moyen-Orient
L’initiative américaine est un cadeau offert à l’axe irano-syrien et un coup de Jarnac aux alliés de Washington dans la région.
Donald Trump est un magicien de la diplomatie. En quelques mots seulement, il parvient à créer des convergences entre les pires ennemis, à isoler le pays le plus puissant du monde et à faire passer les pires bourreaux pour des victimes d’une terrible injustice. Qui d’autres peut en effet réussir, en reniant fondamentalement la politique de son propre pays, à réunir contre sa décision le régime syrien et l’opposition, l’Arabie saoudite et l’Iran, la Turquie et l’Égypte ? Qui d’autre peut permettre à un régime accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité de se faire passer pour un parangon du droit international ?
En déclarant jeudi qu’il était temps de reconnaître la partie du plateau du Golan – occupé en 1967 puis annexé en 1981 – comme un territoire israélien, le président américain a confirmé que sa politique au Moyen-Orient ne répondait qu’à une seule constante depuis son arrivée à la Maison-Blanche : s’aligner, quel que soit le sujet, sur les positions israéliennes. Même si cela implique de bafouer une nouvelle fois le droit international – la résolution 242 du Conseil de sécurité définit le Golan comme un territoire occupé. Et surtout si cela permet de donner un grand coup de pouce à son « ami » Benjamin Netanyahu en pleine campagne législative israélienne. « Le moment choisi par Trump pour sa déclaration était clairement à but politique, avec un œil sur les élections israéliennes. Il était cependant susceptible de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan à un moment ou à un autre. Le timing est moins important que les conséquences stratégiques de cette annonce », résume pour L’Orient-Le Jour Daniel Shapiro, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël.
Coup de Jarnac
Avec une telle décision – à supposer qu’elle soit mise en application –, Donald Trump tire une balle dans le pied de la diplomatie américaine en général et au Moyen-Orient en particulier. La question du Golan était au centre des négociations de paix entre Israël et la Syrie dans les années 1990. La guerre syrienne, débutée en 2011, a mis fin à ce processus de paix, d’autant plus avec l’intervention de l’Iran et du Hezbollah en Syrie, qui projettent notamment de créer un second front contre Israël à partir du Sud syrien. Mais en annonçant ainsi sa volonté de reconnaître l’annexion du Golan, Donald Trump enterre ce processus de paix et privilégie le rapport de force au droit international. C’est un message envoyé à toute la région et qui pourrait non seulement décrédibiliser la parole américaine, mais surtout compliquer les plans de l’administration Trump au Moyen-Orient.
Et pour cause : l’initiative américaine est un cadeau offert à l’axe irano-syrien et un coup de Jarnac à ses meilleurs alliés régionaux. Le président américain donne du crédit à la rhétorique anti-impérialiste de l’Iran, du régime syrien et du Hezbollah, qui peuvent ainsi se positionner comme des résistants à l’agression américano-israélienne et des défenseurs de la cause arabe. Le régime syrien ne s‘y est pas trompé en insistant, dans sa réaction, sur le caractère à la fois arabe et syrien du Golan, comme pour tendre la main au camp arabe duquel il a été exclu. Les alliés arabes de Washington ont été contraints dans ces circonstances de se démarquer de cette décision et de se rapprocher, du moins dans le discours, du régime Assad. L’Égypte, la Jordanie et les monarchies du Golfe ont rappelé que le Golan était une terre arabe et syrienne occupée par Israël. « Trump favorise une convergence discursive entre les pays arabes sur ce sujet », explique à L’OLJ Thomas Pierret, chargé de recherche au CNRS (Paris) et à l’Iremam (Aix-en-Provence).
La décision pourrait également compliquer les plans américains d’un grand rapprochement entre les pays arabes du Golfe et Israël. « Les États arabes qui avançaient dans la voie de la normalisation avec Israël pourraient ralentir ce processus », confirme Daniel Shapiro.
Après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État hébreu, cette nouvelle démarche pourrait également compromettre le fameux plan de paix de l’administration Trump au Proche-Orient. Comment les Palestiniens peuvent-ils s’engager dans des négociations sous l’arbitrage d’une partie qui reconnaît la légalité d’une annexion territoriale, alors qu’eux-mêmes subissent une occupation israélienne en Cisjordanie ? « Il est possible que les partisans israéliens de l’annexion de l’intégralité (ou d’une partie) de la Cisjordanie se sentent enhardis et renforcent leur pression après les élections israéliennes. Et si Benjamin Netanyahu, sous le coup d’une inculpation, dépend de leur soutien pour sa survie, il peut surmonter son opposition précédente sur la question de l’annexion. Cela sonnerait le glas de la solution à deux États et compromettrait gravement la capacité d’Israël à rester à la fois un État juif et un État démocratique », résume Daniel Shapiro.
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