Huawei, or the Telecom Cold War

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Les Etats-Unis accusent Huawei d’être le bras armé de Pékin pour espionner les réseaux télécoms, et veulent décourager l’Europe de retenir le champion chinois pour les futurs réseaux 5G. Derrière l’argument sécuritaire se cache un procès politique.

Cocorico ! Pour le lancement de son dernier téléphone vedette, le P30, Huawei a choisi la capitale française. Ce mardi 26 mars, Richard Yu, le patron de la branche « smartphone » du géant chinois, a fait le déplacement à Paris, la ville du design et de la mode. La France rayonne ! Pourtant, le Quai d’Orsay fait la grimace. A deux pas de la porte de Versailles, où Huawei fait son show, Emmanuel Macron reçoit son homologue Xi Jinping . Le moment est particulièrement mal choisi pour parler de Huawei. Le ministère aurait même fait pression, sans succès, sur l’entreprise pour qu’elle décale son événement.

Cette fébrilité est révélatrice. Tout ce qui touche à Huawei depuis quelques mois est explosif. La simple mention du groupe de Shenzhen embarrasse les politiques comme les industriels . Ce n’est pas que sa présence soit nouvelle ; Huawei est le deuxième vendeur de smartphones au monde et le premier fournisseur d’équipements télécoms – les antennes et autres serveurs qui forment le réseau téléphonique.

La 5G change la donne

Mais le regard porté en France, comme partout en Occident, sur le géant asiatique a changé à l’approche de la 5G. La nouvelle génération de réseaux mobiles doit être déployée à partir de 2020. Elle ne servira plus uniquement à connecter nos téléphones, mais également toutes les infrastructures du pays : les usines, les ports, les hôpitaux, les autoroutes… Confier les clefs d’ un réseau aussi stratégique à un acteur chinois rend les Européens prudents. Et les Américains hystériques.

L’Oncle Sam n’a pas attendu la 5G pour se méfier de Huawei. Il a empêché de facto les grands opérateurs aux Etats-Unis de se fournir en antennes chinoises. Depuis l’été dernier, il met tous ses alliés sous pression pour adopter une ligne dure. Le message est simple : fermez la porte à Huawei pour vos marchés 5G, il en va de la sécurité du réseau.

Un acteur investi en France

Mais si l’Australie s’est alignée sur la position américaine, l’Europe tergiverse. Elle hésite à affronter aussi frontalement Pékin. En plus de l’épineuse question diplomatique, Huawei est un partenaire commercial de première importance.

Dans l’Hexagone, la moitié des réseaux de Bouygues et de SFR sont constitués d’antennes Huawei. Changer de fournisseur pour la 5G nécessiterait de les remplacer, ce qui se chiffrerait en centaines de millions d’euros – alors même que les opérateurs sont sous pression financière. Même Orange est largement lié à Huawei pour ses réseaux mobiles hors de France et pour son offre de « cloud », qui repose intégralement sur les produits chinois. Le géant de Shenzen est aussi un client essentiel de certains groupes tricolores. Pour le grenoblois STMicroelectronics, Huawei représente des centaines de millions d’euros de commandes annuelles.

En parallèle, le groupe s’est constitué des relais politiques. Il emmène régulièrement des élus en Chine pour visiter ses installations . Au printemps, un dîner privé organisé au château de Versailles par la France China Foundation réunissait le président de Huawei et le Premier ministre en personne.

Des accusations mal étayées

A l’instar de la France, l’Europe, prise entre deux feux, tente de dessiner une position intermédiaire : renforcer les prérequis de sécurité et les tests, sans exclure la Chine des appels d’offres 5G. Une proposition de loi en ce sens doit être examinée par l’Assemblée nationale début avril. Mais ces atermoiements ne sont pas du goût de Washington. Pour les Etats-Unis, l’affaire est entendue : les équipements Huawei donnent à Pékin un accès privilégié pour espionner les réseaux étrangers. Comment un groupe tout juste trentenaire aurait-il pu devenir le champion du monde des télécoms sans être intimement lié au pouvoir chinois ?

Le problème essentiel est que ces accusations ne sont pas étayées. Les Etats-Unis ont dû ressortir un vieux dossier – celui du vol d’une partie d’un petit robot en 2013 dans les laboratoires de l’opérateur américain T-Mobile. Le seul autre cas documenté d’espionnage est celui de l’immeuble de l’Organisation de l’Union africaine à Addis-Abeba. Début 2018, « Le Monde » révèle que le bâtiment était piégé par la Chine. Entre 2012 et 2017, le contenu des serveurs était transmis nuitamment quelque part à Shanghai. Et le principal fournisseur de technologie n’était autre que… Huawei .

Un procès politique

Ces éléments sont très minces. Mais pour l’administration américaine, la question des preuves est subsidiaire. L’évolution du cadre législatif chinois, et notamment l’article 7 de la loi sur le renseignement passée en 2017, suffit à clore le débat : si le Parti le demande, Huawei est tenu d’obéir.

Longtemps sur la réserve, Weiliang Shi : « Il n’y a aucune raison que Huawei soit exclu de la 5G » assurant qu’il n’a jamais participé ni ne participera à des activités d’espionnage… Et le chinois a beau jeu de pointer que les Etats-Unis sont loin d’être des oies blanches. Les révélations d’Edward Snowden ont montré que Washington avait écouté ses plus proches alliés , mais aussi infiltré en 2010 les serveurs de Huawei, dans le cadre d’une opération baptisée « Shotgiant ». Exactement ce dont ils accusent les Chinois !

Les Etats-Unis ne nient pas ces opérations de renseignement. Mais ils assurent que le cadre dans lequel elles sont menées est très différent, grâce à de puissants contre-pouvoirs : presse libre, justice indépendante… « Quand Apple a refusé de donner , il est allé devant les tribunaux, pointe un responsable du département d’Etat. Citez-moi une entreprise chinoise qui a assigné le Parti communiste en justice ! »

Le conflit n’est donc pas tant sécuritaire que politique. Peu importe les garanties offertes par Huawei, c’est l’environnement légal chinois qui l’accompagne que vilipende Washington. « En réalité, il faudrait que la gouvernance de Huawei soit complètement revue pour rentrer dans les standards occidentaux, estime un grand patron du secteur. Mais est-ce que ça arrivera ? » Une nouvelle guerre froide émerge. Si elle porte un habit technologique, elle reste idéologique.

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