Understanding Mass Killings Since Columbine

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Comprendre les tueries de masse depuis Columbine

Les tueries de masse occupent la scène médiatique depuis l’événement de Columbine qui s’est déroulé le 20 avril 1999 dans la ville de Littleton, dans le Colorado. Eric Harris et Dylan Kleblod, tous deux scolarisés dans cet établissement, ont ouvert le feu un peu avant l’heure du dîner. Ils tueront 15 personnes avant de mettre fin à leurs jours dans la bibliothèque, aux alentours de midi.

Nous devons inclure cette tuerie dans un contexte historique particulier où la diffusion de l’information s’est transformée. À la fin du XXe siècle, les bulletins d’informations locaux et régionaux ont été remplacés par de l’information en continu. La tuerie de Columbine est arrivée pratiquement en même temps que le phénomène du « breaking news ». Pour une des premières fois dans l’histoire, les téléspectateurs ont pu suivre la tragédie en direct de longues heures durant. Ceci explique peut-être pourquoi Columbine a si fortement marqué l’imaginaire collectif et s’est fait une place dans la pop culture. Mais pourquoi, 20 ans plus tard, après plusieurs tueries de masse beaucoup plus meurtrières, reste-t-elle une référence médiatique et le point de départ pour analyser toute nouvelle tragédie du genre ?

On pourrait dire que la tuerie a bénéficié d’une deuxième vie médiatique due à l’apparition du réseau social YouTube en 2005, puis des réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram, respectivement apparus en 2004 et en 2006. Beaucoup de contenu médiatique lié à Columbine se retrouve sur ces derniers, permettant ainsi à l’internaute de le récupérer, de le transformer à sa guise puis de le télécharger sur sa chaîne. De là, ce contenu peut se multiplier indéfiniment de diverses façons et créer un discours sans fin. Donc, si les internautes peuvent prendre possession d’un contenu médiatique et le dupliquer sans cesse, créant ce que Nathalie Paton appellera une participation médiatique, cela change considérablement la médiatisation et l’impact sociomédiatique d’un événement (tragique).

En ce qui concerne sa place dans la pop culture, si l’on part du principe que, selon cette mécanique, la tuerie arrive au stade de se nourrir elle-même médiatiquement, elle devient donc une sous-culture où des groupes d’individus la font vivre inlassablement, donc on en parle plus. Également afin de nourrir encore plus la bête médiatique, Harris et Klebold ont mentionné plusieurs fois dans leurs journaux intimes toutes sortes d’oeuvres cinématographiques, musicales, et de jeux vidéo pouvant rejoindre plusieurs individus ou groupes d’individus. De ce fait, la médiatisation de l’événement s’accroît, s’élargit à d’autres communautés, et devient encore plus grande. Nous trouvons pertinent de comparer cela à un cyclone qui tout au long de son périple au-dessus de l’océan Atlantique se nourrit des vents et peut potentiellement croître.

Qu’il s’agisse d’une tuerie dans une école ou d’une tuerie de masse se déroulant dans un centre commercial, une salle de yoga (Tallahassee, 2 novembre 2018) ou encore au-dessus d’une foule lors d’un spectacle comme à Las Vegas (1er octobre 2017), il n’en demeure pas moins que le tueur prend pour cible une masse où les individus forment ni plus ni moins qu’un « nous » symbolique. À partir de ce moment précis, il se fabrique son propre rapport au social et le diffuse par les voies qu’il choisit dans le but de passer à la postérité, sachant que son message, par ses voies sociales, sera lu, écouté et vu. Voici quelques exemples : Harris et Klebold ont utilisé des blogues, des sites Internet, des écrits, Cho Seung-Hui, des vidéos envoyées à une chaîne de télé, Tj Lane, Facebook, Chris Harper-Mercer, Facebook, 4Chan, Elliot Rodger, YouTube.

Dans beaucoup de tueries de masse, on retrouve ce discours prenant pour cible le « nous » symbolique. Bien que celui-ci puisse parfois représenter des populations plus ciblées, comme ça a pu être le cas dans la tuerie d’Isla Vista (23 mai 2014) — où Elliot Rodger, dans ses dernières vidéos, s’adressait précisément à une catégorie de jeunes femmes bien précises avec qui il avait du mal à socialiser —, il est souvent caractérisé par les auteurs de ces tueries comme le « nous » qui aurait réussi socialement. Dans ses vidéos témoignages, Cho Seung-Hui (Virginia Tech, 16 avril 2007) l’exprime clairement : « You had a hundred billion chances and ways to have avoided today, but you decided to spill my blood. You forced me into a corner and gave me only one option. »

Alors que les tueurs de masse ont fait le deuil de la vie, ils espèrent fortement laisser une trace écrite ou vidéo et passer à la postérité. Par le truchement de leur existence sur Internet, à travers différents médias (blogues, réseaux sociaux), ils souhaitent au moins ce que l’on pourrait appeler une nécessité de rétroaction post mortem. Une dernière volonté souvent exaucée par les médias, qui diffuseront de multiples manières leurs contenus et créeront à ce moment précis un débat participatif continuel et surtout intemporel.

Ces tueries évoluent et avancent avec la société, se raccrochent à ce que celle-ci fabrique culturellement et mutent avec elle. Pour Muschert (2015), les tueries de masse créent un scénario culturel en utilisant la forme d’un spectacle de violence qui sera foncièrement retransmis par les médias et, de là, ce contenu sera récupéré par les internautes et sera une énième fois republié, remédiatisé selon d’autres formes, comme nous l’avons expliqué plus haut.

Vingt ans plus tard, la tuerie de Columbine a tristement laissé son empreinte dans l’imaginaire collectif et frôle dangereusement le fantasme pour beaucoup de jeunes enclins à passer à l’acte. Elle continue de faire parler d’elle en changeant la manière dont nous regardons ce phénomène en perpétuelle gestation.

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