The Dark Side of American Universities

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La face sombre des universités américaines

Des familles fortunées ont profité d’une fraude à grande échelle pour faire entrer leurs enfants dans de prestigieuses universités américaines. Mais, avec des établissements qui sont constamment à la recherche de dons, la frontière entre les pratiques légales et la corruption est parfois ténue.

A la fin du XIXe siècle, le magnat du rail Leland Stanford eut l’ambition de fonder en Californie une université capable de rivaliser avec les prestigieux établissements de la côte Est. Le baron du nouveau monde se rendit donc dans le terreau de l’aristocratie américaine, le Massachusetts, pour demander conseil au président de Harvard, qui a alors plus de deux siècles. Combien faudrait-il pour créer une université mondialement reconnue , demanda-t-il. « Pas moins de 5 millions de dollars », lui répondit l’autre. « Je crois que c’est dans nos moyens », conclut-il.

L’histoire est encore racontée aux étudiants qui visitent le campus de Stanford. Mais elle a pris une coloration particulière depuis qu’ une vaste fraude a été mise au jour , révélant comment des dizaines de familles fortunées – acteurs, avocats, investisseurs – avaient payé des centaines de milliers de dollars à des consultants véreux pour faire entrer leurs enfants dans des universités prestigieuses (Yale, Stanford, Georgetown, Ucla…), en graissant la patte d’intermédiaires ou en falsifiant les examens.

Des critères peu académiques

L’affaire a fait grand bruit aux Etats-Unis, mais n’a pas vraiment surpris. « Cette histoire est rageante pour les parents et les étudiants qui choisissent de respecter les règles, ou n’ont pas d’autre choix, a résumé un éditorial du ‘New York Times’ . Mais personne ne doit imaginer un instant que celles-ci sont strictement méritocratiques. »

A la différence des pratiques dans nombre de pays européens, les grandes universités américaines privilégient en effet des critères d’admission non strictement académiques. L’objectif est de garantir une certaine diversité de profils, ouvrant la voie à une forme de subjectivité, voire d’opacité .

Des poursuites lancées en 2017 par des étudiants asiatiques s’estimant discriminés ont ainsi permis de mettre au jour qu’à Harvard un traitement particulier était réservé à certaines catégories de candidats – ceux issus des minorités, ainsi que les enfants d’anciens élèves, les proches de donateurs, les enfants des employés, et les sportifs de haut niveau.

Prime aux enfants d’anciens élèves

Les grandes universités américaines aimeraient sans doute faire croire que l’excellence ne s’achète pas. Mais l’argent est pour elles un enjeu constant. Et la frontière entre les pratiques légales et celles qui relèvent de la corruption est parfois ténue. Certaines tirent jusqu’à 40 % de leur budget de l’« endowment », sorte de fonds d’investissement interne qui récolte l’essentiel des dons et les investit pour les faire fructifier.

Elles choisissent ainsi d’accorder un traitement privilégié aux familles et proches d’anciens élèves, réputées plus généreuses. Ceux qu’on appelle les « legacy students » peuvent former jusqu’à 30 % des effectifs des grandes universités, Harvard étant celle qui en accepte le plus.

De la même façon, financer un bâtiment ou une bibliothèque n’ouvre officiellement aucun droit. Mais cela peut faciliter un accès, par ce que le consultant Rick Singer, impliqué dans la fraude, a surnommé la « porte arrière ». « Il y a la porte principale, par laquelle l’élève doit se débrouiller seul, a-t-il expliqué devant le tribunal. Puis il y a la porte arrière, où vont ceux qui peuvent donner de l’argent, mais c’est sans garantie. Et puis il y a la porte de côté, celle que j’ai créée pour offrir une garantie aux familles. »

Discrimination « positive » en faveur des plus fortunés

Si la troisième voie relève de la corruption, la deuxième ne pose, en revanche, aucun problème. Comme l’a martelé le procureur du Massachusetts le mois dernier : « On ne parle pas ici de donner de l’argent pour construire un building afin qu’une école favorise votre fils ou votre fille. On parle ici de fraude. »

D’après Dan Golden, auteur d’un best-seller sur le sujet ( « The Price of Admission, Penguin Random House, 2007 ), « au moins un tiers » des admis dans les universités les plus élitistes du pays ont ainsi « bénéficié d’un traitement préférentiel pendant le processus d’admission ». Au point qu’il parle d’une « discrimination positive » en faveur des plus fortunés, qui prive les classes moyennes d’un accès auquel elles pourraient à tout le moins prétendre, bien plus que celle accordée aux minorités, pourtant si décriée.

Son livre fourmille d’exemples, comme celui de l’ex-vice-président Al Gore, qui étudia à Harvard, où ses quatre enfants ont ensuite été admis malgré des parcours scolaires inégaux. Ou celui de Robert Bass, fortune du pétrole texan, qui fit en 1991 un don de 25 millions de dollars à Stanford et où sa fille entra sept ans plus tard (elle fut la seule de son lycée). Ou encore celui de Jared Kushner, gendre et conseiller de l’actuel président américain, qui entra à Harvard malgré une scolarité jugée moyenne par son ancien lycée, un an après que son père eut fait un don de 2,5 millions de dollars. Son frère cadet l’y suivit dix ans plus tard.

Lorsque les supporters de Trump dénoncent, à l’appel de leur président, un système « truqué », lorsqu’ils applaudissent à ses diatribes anti-élites, c’est aussi à ce système de privilèges qu’ils pensent. Il est ironique qu’ils aient choisi un président dont trois des enfants ont été admis à la prestigieuse université de Pennsylvanie, où il étudia lui aussi. Et à laquelle il aurait pris soin de donner 1,5 million de dollars .

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